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de l’humanité, un sentiment profond de l’immanence du divin dans le monde, une confiance enthousiaste dans la fécondité de l’infini, et enfin l’assurance prophétique que, si les noms particuliers des religions étaient destinés à disparaître, le nom même de religion ne serait jamais aboli dans les langues huitaines. C’était d’ailleurs l’époque où Quinet n’avait pas tellement rompu avec la tradition chrétienne qu’il ne fût capable d’essayer cette éloquente réfutation du docteur Strauss que tous nos anciens lecteurs connaissent, et où, par conséquent, un jeune disciple, à la fois traditionaliste et rationaliste, pouvait aisément contempler dans ses écrits l’image d’un christianisme latitudinaire, semblable à celui qu’il rêvait lui-même. Ce christianisme, Saint-René Taillandier l’y découvrit en effet, et le transporta avec bonheur dans ce poème de Béatrice où se reconnaissent sans peine les traces laissées par les fréquentes lectures d’Ahasvérus et du Génie des religions.

Le thème de Béatrice n’est autre que cette espérance dans l’union future de la science et de la foi que nous venons de marquer comme le sentiment en quelque sorte central des travaux de Saint-René Taillandier. Trois jeunes gens engagés dans la poursuite laborieuse de la vérité échangent dans une modeste chambre d’étudians leurs confidences de catéchumènes. Leurs caractères habilement présentés répondent à trois variétés de la nature philosophique : le rationaliste, le mystique, l’éclectique ou, pour mieux parler le syncrétiste. Le rationaliste n’est autre que notre ancien collaborateur Alexandre Thomas déjà nommé ; nous n’oserions nommer le mystique; le syncrétiste, nous avons à peine besoin de le dire, est l’auteur du poème. Ces confidences ne sont rien moins que joyeuses. Les amis se plaignent que cette science qu’ils servent avec un si brûlant enthousiasme paie mal leurs aspirations et qu’ils ne trouvent point en elle ce que tout jeune cœur cherche avant tout sous une forme ou sous une autre, l’amour. Est-ce donc qu’il y a un divorce irrémédiable entre la vie de l’intelligence et la vie de l’âme? En a-t-il toujours été ainsi et n’y a-t-il pas eu des époques bénies où l’idéal n’était pas une sèche abstraction, où la réalité était autre chose qu’un chaos malsain de notions empiriques, où la vérité en se communiquant remplissait à la fois l’esprit de certitude et le cœur de divine tendresse, où l’être de l’homme pouvait, dans chacune de ses manifestions harmonieuses, atteindre à cette perfection qui, selon la belle définition de saint Bernard, consiste à brûler et à briller à la fois: ardere et lacere perfertio est? Alors ils en viennent à songer à cette Béatrice qui ouvrit à Dante l’une après l’autre toutes les portes du paradis, et ils l’évoquent par l’irrésistible incantation du fervent désir. Ah! qu’il descende et qu’il demeure à jamais avec nous ce savant esprit d’amour, cet