vie celui-là n’avait pas été le moindre. Il avait passé de la foi naïve de la jeunesse aux convictions raisonnées de la science sans que la fréquentation des doctrines philosophiques lui fût malsaine; il ne permit jamais à ses doutes inévitables ce degré de témérité qui pouvait provoquer une de ces crises de déchirement intérieur d’où l’âme ne sort même victorieuse qu’amoindrie ou mutilée; ce qui est plus certain encore, c’est qu’il ne traversa jamais ces étapes d’aridité et ces états de sécheresse dont parlent tous les mystiques et qu’ils dénoncent comme l’accompagnement ordinaire de tout ralentissement de la foi, protégé qu’il fut toujours contre de tels accidens par la vertu de l’espérance. Nature instinctivement confiante, il ne s’était pas senti découragé par les contradictions apparentes qui séparent la science et la foi, et il s’était dit dès ses premiers pas qu’il était impossible que l’esprit humain ne découvrît pas un jour le pont par où ces deux grandes puissances pourraient se rejoindre sans crainte de péril pour l’équilibre de l’âme humaine, sans crainte de naufrage pour les sociétés. Ainsi soutenu par cette ferme assurance intérieure, il avait livré exempt d’inquiétudes sa barque aux vagues de cette mer houleuse des systèmes que tous doivent traverser aujourd’hui, merveilleusement orienté dans sa navigation par la double boussole qu’il portait avec lui, et préservé contre les récifs, les bancs de sable et les côtes insalubres par une instruction solide, de nombreuses lectures, une prudence perpétuellement attentive, un art remarquable de jeter la sonde et de reconnaître sous la profondeur des eaux les parages dangereux. Cette réconciliation qu’il cherchait, il la sentait possible par son propre exemple ; ce point de jonction rêvé par tant de nobles esprits il le trouvait dans le passage, graduellement opéré par la science, du christianisme tel que les siècles nous l’ont légué à un christianisme plus universel encore. Le jour où ce passage serait accompli, l’antique Jérusalem laissée sur la rive du départ apparaîtrait sur la rive d’arrivée, rajeunie et éblouissante de nouvelles splendeurs. Toute sa vie littéraire et philosophique n’a été qu’un long voyage à la recherche des faits soit favorables, soit hostiles à cette double cause qu’il s’était donné mission de soutenir. Il allait interrogeant les systèmes, les littératures, les mœurs étrangères, les sectes, voire les coteries morales où la vie est souvent d’autant plus intense qu’elle est contenue dans un moindre corps, trouvant sur sa route plus de combats à livrer que de traités d’alliances à signer, embarquant toutefois par compensation mainte recrue au service de l’harmonie désirée. Que son esprit fût devenu de plus en plus compréhensif à mesure qu’il accomplissait ce voyage, cela n’avait rien que de naturel ; ce qui est plus particulier, c’est que son rêve de concorde n’ait jamais reçu aucune atteinte. Si invincible était restée
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