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ESQUISSES LITTÉRAIRES

M. SAINT-RENE TAILLANDIER

Nul homme, disait le vieux Solon, ne doit être estimé heureux avant sa mort; mais il n’y a pas de règle si vraie qui ne souffre quelque exception, et l’éminent collaborateur dont nous voudrions aujourd’hui retracer les traits sympathiques eut la fortune d’être de ce petit nombre qui dans chaque génération semble ne pour contredire l’aphorisme si sombre du législateur d’Athènes. On pouvait l’estimer heureux avant sa mort en toute confiance et sans crainte d’être démenti par les événemens du lendemain, tant il avait sagement construit sa demeure à distance de toutes les voies qui mènent aux obstacles. Heureux dès sa naissance par toutes ces circonstances de fortune, de famille et d’éducation qui jouent un rôle si considérable dans le cours de la vie de tout homme, il lui avait été donné, selon un mot du cardinal de Retz, de remplir tout son mérite dans la double carrière qu’il a parcourue jusqu’à sa mort avec un succès constant. Il a été tout ce qu’il devait être sans avoir jamais à accuser le sort d’une lenteur ou d’une malveillance. Professeur longtemps applaudi à la faculté des lettres de Montpellier, il est venu à l’heure précise occuper à la Sorbonne la chaire à laquelle le désignait l’éclat de son enseignement. Écrivain constamment apprécié, il n’a connu ni les injustes retours de l’opinion ni les dénigremens des envieux, et lorsque, recommandé par la voix de l’estime publique aux suffrages de l’Académie, il est entré dans l’illustre assemblée, son élection n’a causé aucun étonnement et n’a rencontré aucune opposition sérieuse, tant elle apparaissait comme le couronnement