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L’APÔTRE DE LA DESTRUCTION UNIVERSELLE.

nouveau roi Amédée et pour établir la république. Lors de l’insurrection réprimée de décembre 1872 à Madrid, l’Emancipacion des marxistes la jugea ainsi : « Nous connaissons assez le personnel du parti républicain pour dire que ce mouvement n’est qu’une de ces tentatives révolutionnaires par lesquelles les élémens déclassés de la bourgeoisie cherchent à faire leurs affaires, et qui coûtent tant de sang aux ouvriers, sans qu’ils puissent en tirer aucun profit. Nous ne pouvons que répéter à nos amis : L’émancipation des ouvriers ne peut s’accomplir que par les ouvriers. Toute révolution conduite par des bourgeois ne peut être utile qu’à la bourgeoisie. » Ces paroles ne furent pas écoutées. Après l’abdication du roi Amédée qui eut lieu le 10 février 1873, le parti anarchiste entraîna les travailleurs à s’allier aux radicaux pour préparer une nouvelle révolution.

Le rapport du délégué espagnol, Garcia Vinas, au congrès de Genève de septembre 1873, nous fait connaître la force de l’Internationale à ce moment. Elle comptait 270 fédérations régionales comprenant 537 sections de métier et 117 sections d’ouvriers divers : total 674, avec environ 300,000 affiliés. — Les journaux étaient : la Solidaridad et la Fédéracion de Barcelone ; el Orden de Cordoue ; el Obrero de Grenade ; la Internacional de Malaga ; el Condenado, les Decamisados et el Petroleo de Madrid ; et la Rivista social de Gracia. — Tous défendaient le programme de Bakounine, l’anarchie ou le communalisme, c’est-à-dire l’indépendance absolue de chaque commune. Les attaques contre la religion étaient d’une violence inouïe[1]. La plupart parlaient de renouveler les flambées de Paris, comme on le voit dans la conclusion d’un article emprunté au Petroleo : « Et si la force nous fait défaut pour atteindre notre but, qui est de nous asseoir, à notre tour, au banquet de la vie, alors viendra le vengeur que craignent les privilégiés, le pétrole, non pour accomplir seulement l’œuvre de la destruction, mais pour exécuter un acte de sainte et souveraine justice. Le nivellement, au besoin par la hache et le feu, voilà ce qu’exige la dignité si longtemps foulée aux pieds du prolétaire. »

En Andalousie, dans l’Estramadure et dans la province de Badajoz,

  1. Voici un extrait du journal los Decamisados : « Délivrons-nous enfin de ce fantôme appelé Dieu, bon pour effrayer des petits enfans. Les religions ne sont que des industries destinées à engraisser, aux dépens du peuple, ces saltimbanques de prêtres, comme les appelle Dupuis. Voilà notre programme. Toutefois avant de le mettre à exécution, il faudra une bonne saignée, courte mais abondante. Il faut couper les rameaux pourris de l’arbre social afin qu’il se développe. Tremblez, bourgeois engraissés de nos sueurs. Faites place aux « sans-chemises, » aux decamisados. Votre tyrannie va finir. Notre bannière noire est déployée et marchera à la victoire. »