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L’APÔTRE DE LA DESTRUCTION UNIVERSELLE.

aux habitudes de conspiration invétérées dans le pays. Dans une lettre écrite de Locarno, le 5 avril 1872, à Francesco Mora à Madrid, Bakounine décrivait ainsi le mouvement socialiste en Italie : « Vous savez sans doute qu’en Italie, dans ces derniers temps, l’Internationale et notre chère Alliance ont pris un grand développement. Jusqu’à présent, ce qui avait manqué, ce n’étaient pas les instincts, mais l’organisation et l’idée. L’une et l’autre se constituent, de sorte que l’Italie, après l’Espagne, est peut-être actuellement le pays le plus révolutionnaire. Il y a en Italie ce qui manque ailleurs : une jeunesse ardente, énergique, sans carrière, sans issue, et qui, malgré son origine bourgeoise, n’est pas moralement et intellectuellement épuisée comme dans les autres pays. Aujourd’hui elle se jette à tête perdue dans le socialisme révolutionnaire avec tout notre programme, le programme de l’Alliance. Mazzini, notre « génial » et puissant antagoniste, est mort. Le parti mazzinien est complètement désorganisé, et Garibaldi se laisse de plus en plus entraîner par cette jeunesse qui porte son nom, mais qui va et court infiniment plus loin que lui. »

Comme le dit Bakounine, en Italie les élémens révolutionnaires existent, mais ce qui y rend une révolution presque impossible, c’est qu’il manque une capitale révolutionnaire. Les Américains bien avisés placent le chef-lieu de leurs états dans de petites villes. Les républicains français, plus imprévoyans, ont ramené les chambres à Paris, faute énorme. La malaria, qui rend Rome inhabitable une partie de l’année, la préservera longtemps encore du péril de devenir le siège d’une nouvelle commune.

Les journaux socialistes ont pullulé en Italie grâce à la liberté illimitée de la presse. Mais ils ont eu la vie courte faute d’abonnés : ils meurent après avoir dévoré le petit fonds qu’un groupe enthousiaste avait constitué. La Plebe de Milan fait exception : elle existe depuis quinze ans. Un jeune et savant professeur de l’Université de Palerme, M. Cusumano, a fait la liste des journaux « rouges » qui ont paru et disparu. Le total dépasse quatre-vingts. Il s’en trouve qui ont des noms bien caractéristiques : ainsi il Communardo, de Fano ; Satana, l’Ateo et il Ladro « le Voleur, » de Livourne ; la Canaglia, de Pavie ; il Lucifero, d’Ancône ; Spartaco et la Campana, de Naples ; l’Eguaglianza et la Giustizia, de Gitgenti ; il Petrolio, de Ferrare ; il Povero, de Palerme ; l’Anticristo, de Milan ; il Proletario, de Turin. J’emprunte à M. Rudolf Meyer quelques extraits de journaux qui montrent les tendances du socialisme extrême. D’abord, guerre à toute idée religieuse : « Dieu, dit le Proletario, est le plus grand ennemi du peuple ; car il a maudit le travail. » « Plus de foi ni d’obéissance au surnaturel, dit l’Almanaco