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langue était plus obtuse d’un côté que de l’autre. Un aveugle qui aurait une main immobile et une autre bien organisée aurait difficilement, à ce qu’il semble, des notions distinctes de grandeur, de situation et de formes : en effet, si une des deux mains lui donnait la sensation d’un corps sphérique, et l’autre d’un corps irrégulier, ces deux sensations se réduiraient à une sensation confuse. La voix est assujettie à la même loi. La voix fausse, qui peut se joindre à une oreille juste, tient au défaut d’harmonie des deux parties du larynx.

Même principe, selon Bichat, pour les sens internes. Si les deux hémisphères du cerveau ne sont pas parfaitement semblables, il doit y avoir confusion dans les idées; ce sont en effet deux esprits différens qui pensent à la fois et se confondent en un seul. Si la mémoire nous rappelle une image dans un des deux hémisphères et que l’autre nous en présente une autre, le souvenir peut-il être exact? La perfection de la fonction tient donc à la similitude des organes, et à leur identité d’action. Ainsi ce que l’on appelle la justesse de l’esprit ne serait que l’harmonie d’action entre les deux cerveaux : « Que de nuances dans les opérations de l’entendement? Ces nuances ne correspondent-elles pas à autant de variétés dans le rapport les forces des deux moitiés du cerveau? Si nous pouvions loucher de cet organe comme des yeux, et n’employer qu’un seul côté du cerveau, nous serions maîtres alors de la justesse de nos opérations intellectuelles; mais une semblable faculté n’existe pas.» C’est par la même hypothèse que Bichat explique ce fait, qu’il parait considérer comme exact, à savoir qu’un coup porté sur une des régions latérales de la tête a rétabli l’équilibre des fonctions détruit par un autre coup dans la région opposée.

Il est cependant une objection à la théorie précédente : c’est la supériorité d’action dans les parties du côté droit sur celles du côté gauche du corps. Mais il faut distinguer la force et l’agilité : la première vient de l’organisation ; la seconde de l’exercice et de l’habitude. Or, c’est par l’agilité seulement que la droite l’emporte sur la gauche. On voit que Bichat explique par l’habitude cette singulière supériorité de la droite sur la gauche. Il paraît croire qu’il y a eu convention. On est convenu, dit-il, d’écrire de gauche à droite : on a dû prendre par là l’habitude de lire dans le même sens, et de là aussi l’habitude de considérer tous les objets de la même manière. La même règle s’est appliquée à tous les mouvemens. Comment combattrait-on avec ensemble, comment marcherait-on au combat, comment danserait-on avec mesure et harmonie, si une convention générale n’avait établi un certain ordre de mouvement? Ces considérations sont ingénieuses, mais elles n’expliquent