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goût lui-même est divisé par une ligne médiane qui le sépare en deux parties semblables ou égales de part et d’autre; il en est de même du toucher. Le cerveau est également double, il est partagé en deux hémisphères qui se suppléent mutuellement. Les parties paires sont semblables de part et d’autre; les parties impaires sont symétriquement partagées par une ligne médiane qui quelquefois même est visible, comme dans le corps calleux; même règle pour les nerfs moteurs, pour les muscles volontaires, pour les nerfs de la voix. Au contraire, dans la vie organique les organes et le système nerveux offrent le caractère de l’irrégularité : par exemple, l’estomac, les intestins, la rate, le cœur, les gros vaisseaux, et les organes de l’exhalation et de l’absorption. Il n’y a d’exception que pour les organes de la respiration, car il y a deux poumons et deux appareils respiratoires symétriques; cependant là même il y a encore de grandes différences entre les deux poumons pour leur diamètre et leur direction. L’un a trois lobes, l’autre n’en a que deux; de même, les deux branches de l’artère pulmonaire ne se ressemblent ni par leur trajet ni par leur diamètre. Ainsi la vie animale est double : il y a une vie droite et une vie gauche; elles peuvent se suppléer réciproquement, c’est ce qui a lieu dans les hémiplégies. Au contraire, la vie organique forme un système unique, où les fonctions ne peuvent s’interrompre d’un côté sans cesser de l’autre ; si les organes de gauche cessent leurs fonctions, ceux de droite sont interrompus; il n’y a d’exception que pour les poumons et pour les reins, qui peuvent se suppléer réciproquement. De la loi précédente résulte cette conséquence qu’il y a bien plus souvent des écarts de conformation dans les organes de la vie organique que dans ceux de la vie animale; ces écarts peuvent aller jusqu’à un bouleversement général du système.

Si des organes nous passons aux fonctions, nous trouvons que le caractère des fonctions animales est l’harmonie, et celui des fonctions organiques la discordance. L’harmonie tient à la dualité et à la ressemblance des organes; plus les organes sont semblables, plus les fonctions sont harmoniques : lorsque les deux yeux ont une conformation différente, la vue est altérée; si l’un est fort et l’autre faible, l’un cesse de regarder : de là le strabisme. De même pour l’oreille ; le défaut de justesse vient de ce que les deux oreilles ne transmettent pas la même sensation. C’est ce que Buffon avait déjà remarqué. Bichat applique la même observation aux autres sens : l’inégalité d’action des deux narines donne des odeurs confuses; c’est ce qui a lieu dans le coryza, lorsqu’il n’affecte qu’une narine. Il est probable qu’il en serait de même pour le goût si la