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L’APÔTRE DE LA DESTRUCTION UNIVERSELLE.

aucune influence et bientôt il cessa d’exister. Néanmoins les germes déposés par l’Internationale se développèrent rapidement. La lutte des travailleurs contre les capitalistes est organisée aujourd’hui partout. Les sociétés ouvrières se multiplient, et beaucoup d’entre elles fêtent l’anniversaire de la naissance de la commune le 18 mars. Les journaux industriels signalent constamment des grèves. On se rappellera celle des mécaniciens de chemins de fer, qui aboutit à des combats sanglans. Aux dernières élections en Californie, un grand nombre de socialistes ont été élus. La fameuse prédiction de Macaulay sur les barbares qui apparaîtraient un jour au sein des cités américaines ne paraît plus aussi étrange qu’il y a trente ans. Un livre curieux publié récemment par M. Henry George à San-Francisco, Progress and poverty, montre bien ce qui les fait naître.

Le seul préservatif efficace contre le socialisme révolutionnaire, c’est la diffusion de la propriété. En voici une preuve nouvelle. Dans les pays scandinaves, l’Internationale s’est répandue d’autant moins que le régime agraire était plus démocratique, c’est-à-dire pas du tout en Norvège, peu en Suède, davantage en Danemark. L’Internationale pénétra en Danemark au printemps de 1871, peu de temps après la chute de la commune. L’apôtre de l’association, Pio, était un militaire retiré du service. Il avait été placé comme précepteur par le chef de la mission catholique, Grüdner, chez une dame de la cour, la baronne Berling, dont la conversion au catholicisme avait fait rumeur dans un pays exclusivement protestant. Pio quitta cette maison et alla à Genève s’affilier à l’Internationale. Revenu à Copenhague, il y publia des brochures pour exposer son but, forma une section et édita un journal, le Socialisten, qui ne tarda pas à devenir quotidien. Il trouva un lieutenant dévoué dans Paul Geleff, qui écrivait dans le journal ultramontain Heimdal. Geleff parcourut les différentes villes, prêchant la bonne nouvelle. Il parvint à fonder des sections dans la plupart d’entre elles, à Aalborg, Randers, Aarhuus, Skanderborg, Horsens, Odense et Naskov. Au commencement de 1872, ces sections comptaient déjà huit mille membres, dont cinq mille dans la capitale. Beaucoup de femmes étaient entrées dans le mouvement. De nombreuses grèves eurent lieu à partir de cette époque. Pio et Geleff ayant convoqué un grand meeting’' en plein air sur le Nordenfeld, la police l’interdit. On en vint aux mains et le sang coula. Les meneurs furent arrêtés et condamnés à plusieurs années de prison. En même temps, un arrêté du ministre de la justice, visant l’article 87 de la constitution, interdit l’Association internationale des travailleurs, en Danemark. La mesure se trouva illusoire. Les socialistes se constituèrent sous le nom d’Association démocratique des ouvriers et trouvèrent dans l’ébéniste Pihl un chef actif et habile.