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d’apôtre et de martyr, arrive à Moscou. Il s’y met en relation avec les élèves de l’académie d’agriculture. Il y fait des recrues et forme un comité qu’il intitule : Branche russe de l’association internationale des travailleurs. Il leur donne connaissance de l’organisation de la société secrète. La pièce fut saisie et figura au procès. En voici un curieux extrait : « L’organisation est fondée sur la confiance envers l’individu. Aucun membre ne sait à quel degré il se trouve du centre. L’obéissance aux ordres du comité doit être absolue, sans objection et sans hésitation. » — Quatre des jeunes initiés reçurent l’ordre de recruter de nouveaux adhérens et de former chacun une petite section indépendante. Parmi ceux-ci se trouvait un étudiant de l’académie d’agronomie qui mettait dans l’exercice de la charité l’exaltation d’un saint. Il s’appelait Ivanof ; il était très estimé et très influent parmi ses camarades. Il avait organisé des caisses de secours pour les étudians pauvres, et il consacrait tout son temps libre à instruire les enfans des paysans ; il se privait de tout pour donner aux autres, et ne prenait jamais d’alimens chauds. Il crut que la révolution sociale pouvait seule mettre un terme à la misère, la bienfaisance individuelle pouvant tout au plus venir en aide à quelques malheureux.

Netchaïef et Ivanof ne marchèrent pas longtemps d’accord. Ketchaïef fit afficher des proclamations révolutionnaires dans les pensions alimentaires qu’Ivanof avait organisées pour les étudians pauvres. Celles-ci furent fermées, et les délégués qui les administraient, exilés. Ivanof, au désespoir, annonça l’intention de quitter l’association. Alors de crainte qu’il ne trahît le secret, Netchaïef et deux autres initiés, Pryof et Nicolaïef, amis cependant d’Ivanof, l’attirèrent le soir dans un jardin écarté, sous prétexte d’y déterrer une imprimerie clandestine. Ils le tuèrent à coups de revolver et jetèrent le cadavre dans un étang. — Autre fait du même genre : le congrès de l’association internationale qui devait se réunir à La Haye en 1872, sous l’inspiration de Marx, voulait exclure Bakounine, et pour le convaincre d’avoir fondé une société secrète dont les statuts étaient contraires à ceux de l’Internationale, on avait chargé un exilé russe, Outine, de rédiger un rapport sur l’affaire Netchaïef. Outine, pour faire son travail, s’était fixé à Zurich. Un soir qu’il se promenait près du lac, il fut assailli par huit individus parlant slave qui, après l’avoir, croyaient-ils, assommé, allaient le jeter à l’eau, lorsqu’il fut sauvé par l’arrivée de quelques étudians de l’Université. On peut donc affirmer, en invoquant non-seulement les statuts de la secte, mais ses actes, qu’elle ne recule pas devant l’assassinat même de ses initiés.

Lorsque Alexandre II décréta, en 1861, l’abolition du servage,