ses fit pénétrer dans son cœur la haine du despotisme. Il donna sa démission et vint se fixer à Moscou, où il étudia la philosophie avec Belinsky. Vers 1846, il se rendit en Allemagne. Les idées hégéliennes le séduisirent ; il se jeta dans l’extrême gauche de l’école où fermentait alors un puissant levain révolutionnaire. En 1847, il vint à Paris, où il rencontra George Sand et Proudhon. Mais il fut expulsé, probablement à cause de la violence de ses discours. Revenu en Allemagne, il prit une part active aux insurrections qui éclatèrent alors de divers côtés, et, au printemps de 1849, il fut un des chefs de celle de Dresde, qui occupa la ville pendant trois jours. Il fut fait prisonnier et condamné à mort. Cette peine étant commuée en celle de la détention perpétuelle, il la subit d’abord dans une forteresse autrichienne. Réclamé par la Russie, il fut enfermé dans le fort de Petropaulowsk à Saint-Pétersbourg. Il y resta huit ans, La prison produisit sur lui le même effet que sur Blanqui. Elle transforma chez lui l’idée révolutionnaire en fanatisme et en une sorte de religion. Il se comparait volontiers à Prométhée, le Titan bienfaiteur des hommes, enchaîné sur un rocher du Caucase par les ordres du tsar de l’Olympe. Il songea même, dit-on, à faire un drame sur ce sujet, et il chantait parfois, plus tard, la plainte des Océanides venant apporter leurs consolations à la victime de la vengeance de Jupiter. Naturellement Bakounine était le Prométhée moderne qui apportait aux hommes la lumière et la vérité.
Alexandre II commua la détention perpétuelle en un exil en Sibérie, où Bakounine arriva en 1857. Il y trouva comme gouverneur Mouravief-Amourski, cousin de l’autre Mouravief et qui, par suite, était aussi son parent. Il jouit ainsi, paraît-il, de faveurs exceptionnelles et d’une liberté complète. Le grand journaliste de Moscou, Ratkof, ancien ami de Bakounine, a prétendu avoir des lettres de lui, prouvant qu’il recevait de l’argent des marchands pour qu’il les recommandât au gouverneur. Il obtint l’autorisation de visiter toute la Sibérie pour en faire connaître les ressources. Arrivé au port de Nikolaiefsk, il parvint à s’embarquer, et, par le Japon et l’Amérique, arriva en Angleterre en 1861. Il écrivit dans le fameux journal, le Kolokol, que rédigeaient Herzen et Ogaref. Lors de l’insurrection de la Pologne en 1863, il voulut se rendre en Lithuanie pour y soulever les paysans, mais il ne put aller plus loin que Malmoe en Suède. Bientôt après, vers 1865, nous le voyons en Italie fomenter et organiser le socialisme. Il mit alors pendant quelque temps son activité au service de l’Internationale, mais il n’admettait pas, comme elle, qu’il fallût attendre un avenir meilleur de la réforme des institutions existantes. Ce qu’il rêvait, c’était leur destruction.