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physiques. » Ce que Bichat voulait exprimer, c’était l’antagonisme de la vie et du milieu inorganique. Tout ce qui entoure les corps vivans, disait-il, tend à les détruire, et ils succomberaient nécessairement s’ils n’avaient en eux « un principe de réaction; » ce principe c’est la vie. Il y a constamment action et réaction alternative du corps environnant et du corps vivant, et les proportions de cette alternative varient avec l’âge. Dans l’enfance, c’est le principe de vie qui surabonde; dans l’adulte, l’équation s’établit; la faculté de réaction s’affaiblit sans cesse dans le vieillard ; lorsqu’elle cesse tout à fait, la vie cesse avec elle, et c’est ce qu’on appelle la mort. « On dit que Prométhée, ayant formé quelques statues d’hommes, déroba le feu du ciel pour les animer. Ce feu est l’emblème des propriétés vitales : tant qu’il brûle, la vie se soutient; elle s’anéantit quand il s’éteint. »

On voit que Bichat défendait cet ordre d’idées que l’on appelle le vitalisme. Il ne définissait pas sans doute le principe de vie ; il n’en faisait, pas comme Barthez ou comme Stahl un principe immatériel; il semblait plutôt l’attacher aux tissus organiques comme une propriété ou un attribut; enfin il approuvait cette sorte de vitalisme qui a régné longtemps dans l’école de Paris sous le nom d’« organicisme ; » néanmoins il établissait, comme on l’a vu, une opposition radicale entre les propriétés vitales et les propriétés physiques; il paraissait croire à des forces spéciales suspendant l’action des forces inorganiques. Claude Bernard, qui lui-même oscillait assez souvent sur ces questions de principe, a combattu l’antagonisme de Bichat. La vie, disait-il, est une combustion; et la combustion n’est au fond qu’un phénomène chimique. Les propriétés vitales, bien loin de faire équilibre aux propriétés physiques et chimiques et d’en suspendre l’action, sont au contraire d’autant plus actives que celles-ci le sont plus elles-mêmes. Cependant, lorsqu’à son tour Claude Bernard définissait la vie « une création, » ne signalait-il pas un trait bien nouveau et bien original qui manque à la matière brute? Le symbole de la vie, dit-il, c’est « un flambeau qui se rallume lui-même. » Mais cela même, n’est-ce rien? et où trouver quelque chose de semblable dans la matière inerte? N’y a-t-il pas là quelque chose qui résiste à la mort, et qui serait le quid proprium de la vie, selon I expression même de Claude Bernard? Quoi qu’il en soit, nous en avons dit assez pour faire comprendre que la définition de Bichat est loin d’être une tautologie, et qu’elle touche aux points les plus profonds de la philosophie physiologique.

Au reste, ce n’est pas par sa théorie générale de la nature de la vie que Bichat a marqué sa trace, car il ne fait que suivre en ce