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les Rapports, Cabanis a fini par s’élever au-dessus du matérialisme, de même, dans la lettre à Fauriel, il s’élève au-dessus de l’athéisme de Lalande et de Naigeon ; il prend décidément parti pour la finalité dans la nature, et par là encore sa philosophie a pu avoir quelque influence sur celle de Schopenhauer.


II.

Bichat appartient surtout à l’histoire des sciences comme fondateur de l’anatomie générale : c’est le titre que lui donne Claude Bernard. C’est lui qui a eu l’idée de pénétrer, dans l’étude du corps vivant, au-delà de ces composés apparens que l’on appelle les organes, pour rechercher les propriétés de l’étoffe même dont ces organes sont formés et qui porte le nom de membranes ou de tissus. « Ce qui caractérise l’œuvre scientifique de Bichat, dit Claude Bernard, c’est d’avoir étudié avec soin les propriétés de chacun de ces tissus et d’y avoir localisé un phénomène vital élémentaire. Chaque tissu élémentaire représentait une fonction particulière. Toutes les propriétés vitales étaient ramenées à des tissus, et c’était une révolution analogue à celle que Lavoisier venait d’opérer quelques années auparavant dans l’étude des corps inorganiques. »

Ce n’est pas à ce point de vue que nous avons à considérer Bichat. Ce qui nous intéresse et ce qui lui confère un rang distingué dans l’histoire de la philosophie, c’est son célèbre ouvrage sur la Vie et la Mort, si plein de vues originales et profondes et écrit avec une méthode et une clarté supérieures. Le besoin de précision que son esprit éprouvait au plus haut degré le porte quelquefois à des distinctions trop accusées, qui ne laissent pas assez de place aux phénomènes intermédiaires. Mais dans des matières si délicates et si complexes, on jouit tellement d’être conduit comme par la main, en suivant un génie si lumineux et si méthodique, qu’on se reprocherait de signaler l’excès d’une qualité qui est le trait caractéristique de l’esprit français.

On connaît la définition célèbre que Bichat a donnée de la vie : c’est, dit-il, « l’ensemble des fonctions qui résistent à la mort. » Cette définition semble au premier abord une tautologie, car elle ne paraît dire autre chose que ceci : c’est que la vie est le contraire de la mort, tandis que la mort à son tour ne nous est connue que comme le contraire de la vie. Mais ce serait se méprendre que de réduire la pensée de Bichat à des termes si frivoles. Claude Bernard lui donnait un sens bien plus sérieux, qui était le véritable, en disant qu’elle pouvait se traduire en ces termes : « La vie est l’ensemble des propriétés vitales qui résistent aux propriétés