Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 39.djvu/532

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ingenio sublimi, menteque diviniore
Intima Naturæ victæ penetralia scrutans
Buffonus verbo terram et cœlos patefecit,
Felix ! nam potuit rerum dignoscere causas.


Il faut croire que le jugement de Mme Necker n’avait pas été très favorable à ces fruits de la muse de son illustre ami (bien que, dès le lendemain, il se fût empressé d’en corriger les fautes de quantité à l’aide d’un dictionnaire), car elle lui suggérait à la place de cette épigraphe une inscription qu’elle-même avait composée, et Buffon lui répondait aussitôt :


Ma noble amie, ce que vous rencontrés vaut mieux que ce que j’imagine et puis que vous voulés louer l’éloquence et le génie, il faut substituer votre épigraphe à la mienne :


Cedite, Romani scriptores, cedite, Graii[1],
Nostro Buffonio cui mens divinior atque os
Magna sonaturum…


et finir à ces mots. Je n’ai point du tout de regret de mes deux vers dans lesquels j’aurois voulu exprimer mes sentimens d’adoration pour vous. Le cœur devroit parler toutes les langues, mais le latin ne m’a pas obéi et ces sentimens sont si profonds qu’il me seroit même impossible de les traduire en françois.


Ce n’était pas seulement dans l’intérêt de sa propre gloire que Buffon s’escrimait un peu péniblement, comme on le voit, en vers latins. La pensée de célébrer en style lapidaire les grâces et les vertus de son incomparable amie n’échauffait pas moins son imagination Mme Necker avait fait peindre son portrait, en miniature, sur une petite boîte en émail pour te donner à Buffon, et Buffon avait composé, pour être gravés à l’entour, en lettres d’or, les vers suivants :


Angelica facie et formoso corpore Necker
Mentis et ingenii virtutes exhibet omnes.


Mais l’éloge ne tardait pas à lui paraître insuffisant, et un matin il écrivait à Mme Necker, du Jardin du roi :

  1. Le premier vers est tiré de Properce, qui l’avait composé avant la publication de l’Enéide.