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il doit en tout servir de modèle. » Les moindres opinions de Buffon, les jugemens littéraires qu’il portait sur ses contemporains et ses rivaux, ses pensées sur le style, sur la composition, dont quelques-unes paraissent singulièrement justes et profondes, ont été recueillies par elle avec un soin religieux. Buffon, de son côté, en la voyant si attentive aux soins de sa gloire, ne lui dissimulait pas la haute opinion qu’il avait conçue de lui-même. Lorsque, pour dédommager Buffon de l’affront qu’on lui avait fait en disposant de sa survivance, le roi eut permis qu’on élevât de son vivant sa statue au Jardin du roi, la question se posa de savoir quelle inscription il convenait de mettre sur le socle de cette statue, œuvre de Pajou. Celle qu’on avait adoptée d’abord : Naturam amplectitur omnem, ayant inspiré à un mauvais plaisant ce commentaire : « Qui trop embrasse mal étreint, » Lebrun avait proposé ces deux vers :


Buffon vit dans ce marbre. À ces traits pleins de feu,
Vois-je de la nature, ou le peintre, ou le dieu ?


Mais on avait décidé qu’une inscription latine était préférable, et au lendemain d’une soirée où les termes de cette épigraphe avaient été discutés chez Mme Necker, Buffon prenait son parti d’y travailler lui-même :


Vous avés, ma noble amie, si fort exalté mon amour-propre hier soir, que j’ai rêvé cette nuit ces deux vers pour le portrait :

Buffoni os insigne videns mirabere. Quid si
Virtutes, nec non præcordia candida neris !

Cela n’est pas bien bon ; cependant je préfererois ce latin à la phrase tirée de mes ouvrages. Bonjour, mon adorable amie ; depuis vingt-quatre heures je n’ai pas cessé de penser à vous.


Mais quelques jours de réflexion lui faisaient apercevoir que ces vers n’étaient pas irréprochables, car il écrivait encore à Mme Necker :


Au Jardin du Roy, ce 11 février.

Peu content des derniers vers latins que j’ai envoyés à ma noble amie, j’en ai rêvé quatre autres qui me paraissent moins mauvais, mais que je soumets à son jugement, mille fois plus exquis et plus sûr que le mien.