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représentans de l’Angleterre au dehors. Le ministère Gladstone, cela est bien clair, ne va pas bouleverser brusquement tout un ensemble de politique et désavouer l’œuvre de ses prédécesseurs; ce que lord Beaconsfield et lord Salisbury ont fait, il l’accepte. Il prend pour point de départ, il adopte comme garantie de la paix européenne à l’heure présente le traité de Berlin; mais ce traité, il y a bien des manières de le comprendre, de l’exécuter, et c’est ici que commence l’inconnu, que peuvent éclater les conséquences de l’évolution qui vient de s’accomplir à Londres.

Que se proposait réellement lord Beaconsfield? Il était toujours assez difficile de savoir jusqu’où pouvait aller cette entreprenante et fastueuse imagination. Engagé, moralement du moins, dans une sorte de duel avec la Russie, lord Beaconsfield tendait visiblement de plus en plus à entrer dans l’alliance austro-allemande, en subordonnant aux combinaisons continentales qu’il caressait tout ce qui regardait la Turquie. Il préparait peut-être par ses témérités aventureuses, par son incohérence agitée, une guerre colossale. Le nouveau ministère, cela se voit, n’a pas les mêmes préoccupations fixes d’hostilité à l’égard de la Russie; il n’a pas les mêmes velléités de politique continentale et les mêmes dispositions à favoriser les envahissemens de l’Autriche en Orient sous prétexte d’opposer une barrière aux Russes. S’il n’a pas plus de sympathies que ses prédécesseurs pour les Turcs, il a peut-être d’autres idées sur les arrangemens les plus propres à sauvegarder, à constituer l’indépendance orientale. Il n’arrive sûrement pas au pouvoir avec des combinaisons gigantesques embrassant l’Asie et l’Europe. Il en résulte que, par le fait, l’Angleterre se trouve aujourd’hui dans des rapports tout autres avec la Russie, comme avec l’Allemagne et l’Autriche, comme avec la Turquie elle-même, et M. Goschen, qui est envoyé temporairement en ambassade auprès du sultan à la place de sir Austin Layard, va sans doute représenter à Constantinople une politique assez différente. Le nouveau ministère anglais va du reste avoir, sans plus tarder, à préciser ses vues et son action diplomatique à l’occasion de toutes ces affaires qui deviennent de plus en plus pressantes, qui sont comme des dépendances du traité de Berlin : fixation définitive des frontières grecques, règlement des territoires que le sultan doit céder au Monténégro et que les Albanais ne veulent pas livrer, qu’ils défendent les armes à la main. Le cabinet de Londres a aussi à intervenir pour l’exécution des réformes en Turquie, et dans toutes ces affaires qui restent en suspens quoiqu’elles soient censées réglées par le traité de Berlin, il a nécessairement à se concerter avec les autres puissances, à montrer ce qu’il veut, dans quelle mesure il entend s’engager. Parler de « combiner la fermeté avec le respect des droits des pays étrangers, » comme le faisait ces jours derniers le sous-secrétaire du foreign office, sir Charles Dilke, ce n’est pas bien compromettant. Il faut attendre ce que M. Gladstone, lord Granville, lord Hartington diront