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libéral qu’à se mettre à l’œuvre, à se présenter au parlement, à exposer la politique sous le drapeau de laquelle il entend rallier sa majorité. Le premier ministre, M. Gladstone, personnellement, n’a eu encore ni le temps ni l’occasion de s’expliquer, ou s’il a rompu le silence, c’est pour expier ses péchés de candidat, des intempérances de langage qui auraient pu lui créer des embarras. Dès son avènement au pouvoir, il s’est cru prudemment obligé d’écrire une lettre au comte Karolyi, ambassadeur austro-hongrois à Londres, pour atténuer ou même retirer des paroles par trop vertes qu’il avait laissées échapper au cours de ses pérégrinations électorales, sur l’Autriche et sur l’empereur François-Joseph. Le premier ministre de la reine Victoria a oublié les vivacités de M. Gladstone et il s’est mis galamment en règle avec l’ambassadeur impérial. Rien de plus honorable assurément que cette démarche destinée à guérir une blessure qui avait été ressentie à Vienne; pour un homme appelé à reprendre le gouvernement de la nation anglaise, mieux aurait valu peut-être n’avoir pas à débuter au ministère par l’aveu d’une légèreté ou d’un excès de langage inutile.

Maintenant que l’étiquette est sauvée par la lettre de M. Gladstone au comte Karolyi, quelle sera en réalité l’influence des dernières élections et de l’avènement des libéraux sur la politique extérieure de l’Angleterre? Jusqu’à quel point et dans quelle mesure le nouveau cabinet se propose-t-il de modifier la direction de la diplomatie britannique en Orient ou sur le continent? C’est la grande question, c’est ce qui fait la gravité des changemens qui viennent de s’accomplir au-delà du détroit? Pour la France, c’est bien entendu, il ne s’agit plus de raviver les mauvais souvenirs de 1870. Le nouveau chef du foreign-office, lord Granville, paraîtrait avoir tenu récemment à expliquer encore une fois la conduite du cabinet de Londres au temps de la guerre. Ce qu’il y a de mieux, c’est de n’en plus parler. Le cabinet Gladstone-Granville de 1870 a compris les intérêts de l’Angleterre d’une certaine manière; il n’a pas dû les comprendre de façon à satisfaire le sentiment anglais lui-même, puisque bientôt après l’opinion populaire lui infligeait une sorte d’éclatant désaveu par les élections qui rendaient le pouvoir aux tories. Aujourd’hui tout cela est passé si l’on veut ; entre le cabinet libéral qui vient de naître à Londres et le gouvernement français, il n’y a que des raisons de bonne amitié, d’entente sérieuse. Si, comme il l’assure, le cabinet de 1880 fait entrer cette entente dans ses desseins, il trouvera, à n’en pas douter, dans notre nouvel ambassadeur à Londres, M. Léon Say, un homme tout préparé à répondre à ces dispositions favorables. Au fond, la vraie question, la question délicate du moment n’est pas là; elle est dans le système de conduite que le ministère libéral va suivre en Orient, dans les relations avec les puissances du Nord et du centre de l’Europe. Lord Granville n’aurait pas tardé, dit-on, à communiquer les idées, les intentions du nouveau gouvernement à tous les