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qu’il a énumérées, qu’il a voulu rattacher aux traditions révolutionnaires, il y en a précisément une, celle du 18 août 1792, qui n’a pas même une apparence de légalité, puisqu’elle date d’un moment où la royauté avait disparu et où la république n’existait pas encore, où il n’y avait ni constitution ni pouvoirs réguliers pour sanctionner et promulguer une loi. M. le garde des sceaux a eu beau faire afficher son discours sur les murs dans toutes les communes de France, il n’a rien démontré; il n’a sûrement pas donné l’ombre d’une autorité nouvelle aux décrets du 29 mars, et en définitive après le vote du simple ordre du jour qui a été réclamé par M. le président du conseil, qui était peut-être le meilleur dénoûment du débat, mais qui ne prouve rien, le gouvernement ne reste pas moins au point où il était la veille. L’interpellation de M. Lamy ne l’a point affaibli si l’on veut, l’ordre du jour ne l’a pas fortifié, et les exaltations lyriques de M. le garde des sceaux sur l’année révolutionnaire et sur Danton, si elles n’étaient pas un mouvement de vaine éloquence, ne seraient pas de nature à rehausser le crédit moral du ministère. La vérité est que de cette discussion il n’est resté qu’un sentiment plus vif de la situation fausse où le gouvernement s’est placé en subissant les conditions de l’esprit de parti et de secte, en donnant à des passions de combat ce redoutable gage des décrets du 29 mars qui sont destinés à peser sur toute la politique, qui préparent dans tous les cas à la république de bien inutiles épreuves.

Il faut voir les choses telles qu’elles sont. Que veut-on que fasse le gouvernement aujourd’hui ? Il s’est lié certainement plus qu’il ne l’a cru; il s’est engagé dans une voie où il n’a plus même toujours la liberté de ses résolutions. La grande question de la politique intérieure de la France, cela est bien clair, est dans le choix entre la république sérieuse, libérale, modérée telle qu’elle a été inaugurée par la constitution de 1875, et la république agitatrice, radicale, portant la guerre dans les institutions, dans le domaine des intérêts, des croyances et des traditions. Pendant quelque temps c’est la première de ces républiques qui a gardé l’avantage, qui s’est défendue non sans effort, mais non sans succès; elle a pu se dire la république conservatrice, libérale, la république ouverte et facile, comme on voudra l’appeler. Aujourd’hui, on ne peut s’y méprendre, la politique a dévié et de plus en plus elle dévie, elle a changé de direction, elle est soumise à d’autres influences, elle court vers d’autres régions. C’est la seconde république qui apparaît ou qui reparaît avec ses passions, ses préjugés, ses suspicions, ses mots d’ordre, et le signe le plus caractéristique de cette déviation croissante, c’est ce qui a pris le nom de « guerre au cléricalisme. » Qu’est-ce que la guerre au cléricalisme? Ce n’est pas seulement l’exclusion des influences religieuses, c’est aussi comme une expression condensée et sensible de tout un travail qui s’accomplit pour introduire dans la république un esprit nouveau, des influences nouvelles, les passions et les procédés révolutionnaires