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porter du charbon à Alexandrie, à Beyrouth, à Constantinople, à Odessa, à Trébizonde, etc., et prendre, en retour, les cotons d’Egypte, les sésames et les laines de Syrie, les huiles de Turquie et les blés de Crimée, à un fret qui serait insuffisant pour la marine anglaise. Notre industrie trouverait ainsi dans ce genre d’exportation des avantages certains; car la houille procurerait à nos navires des sorties régulières et favoriserait l’envoi de nos produits manufacturés sur les marchés de la Méditerranée et de la Mer-Noire. Le navire, lesté de charbon, pourrait transporter les soieries de Lyon, les cotonnades de Mulhouse et de Rouen, et nos mille articles de fabrication et de fantaisie qui font encore la loi et ont toute la vogue de la mode dans les pays civilisés des deux mondes, sur une multitude de points où ces marchandises ont dû bien souvent céder la place aux marchandises anglaises. « Qu’on nous donne la houille à bon marché, disait un de nos armateurs, alors nous pourrons prendre de la marchandise légère comme chargement complémentaire, et nos produits manufacturés, dont le prix de revient n’est que de quelques centièmes plus cher que celui des produits britanniques similaires, rachèteront ce désavantage par l’infériorité du prix de transport[1]. »

Le désavantage essentiel de notre marine marchande tient en effet à la nature même des productions et des besoins de notre pays et peut se traduire par cette formule : supériorité du tonnage importé sur le tonnage exporté. Sur cent bâtimens d’égale capacité qui abordent en France avec des chargemens complets, près de soixante en repartent à vide. Cette balance du tonnage est tout autre que celle du commerce; l’une se déduit du poids, l’autre de la valeur des objets échangés; et la navigation d’un pays peut languir dans des conditions où ses manufactures sont en pleine activité. Ainsi, pour n’en citer qu’un exemple, les cent millions de soieries que nous avons exportés par mer dans certaines années prospères, tout en employant un très grand nombre d’ouvriers, ne fournissent à la marine qu’un aliment insignifiant; le transport d’une bien moindre valeur en fer, en bois, en houille, pourrait occuper cent fois plus de matelots. Nous recevons, par mer surtout, des marchandises encombrantes et des matières premières; nous renvoyons, par la même voie, des produits manufacturés d’une valeur très supérieure sous un moindre volume; et l’insuffisance des chargemens est habituelle dans nos ports de commerce. En d’autres termes, nos navires sortent en général sur lest, c’est-à-dire dans les plus mauvaises conditions commerciales.

L’exportation de la houille permettra de faire cesser cette cause

  1. Question des houilles. Mission de M de Ruolz en France et en Angleterre, Paris, 1872; Imp. nat.