Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 39.djvu/452

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

siècle, ne compte pas aujourd’hui moins de douze cents habitans, tous pêcheurs. Trente gros bateaux, portant cette magnifique voile triangulaire dont le type s’est conservé sans altération depuis plus de vingt siècles à la surface de toutes les mers latines, naviguent par couples dans les eaux du Grau du Roi, attelés deux à deux à un immense filet traînant qui laboure le fond du golfe ; on les nomme des bœufs, et ils exploitent d’une manière régulière toute la partie de la mer qui s’étend depuis le cap de Cette jusqu’aux Saintes-Maries, à l’embouchure du petit Rhône. Une vingtaine de bateaux de même nature, appartenant au port de Cette, viennent se joindre à eux pendant les grosses mers du sud et du sud-est qui rendent la navigation si dangereuse le long des côtes du département de l’Hérault. Près de cinquante embarcations de plus petit modèle, appelées des maures de porc, sont affectées à la pêche du thon; enfin une véritable flottille de bateaux génois et espagnols ont, pendant la belle saison, choisi le Grau du Roi pour leur port d’attache et se livrent principalement à la pêche de la sardine et du maquereau. L’effectif de tous ces équipages est de près de six cents hommes. Par la facilité de son entrée et la sûreté de son mouillage, le Grau du Roi est donc à la fois le port de pêche de toute la partie de la Méditerranée comprise entre Cette et le Rhône et le refuge naturel d’un grand nombre de pêcheurs des localités environnantes ou même des pays étrangers, dont les embarcations ne peuvent entrer au Grau de Palavas, n’ont pas d’abri aux Saintes-Maries et redoutent l’entrée du port de Cette.

Mais si l’industrie de la pêche est prospère, le commerce est aujourd’hui à peu près nul. Toutefois, malgré la redoutable concurrence du port de Cette, le mouvement commercial s’est maintenu jusqu’à ces dernières années. Dans la période de 1830 à 1840, les états des douanes relevaient à Aigues-Mortes, tant à l’entrée qu’à la sortie, de cinq à six cents navires, représentant 40,000 tonnes environ. Ce n’étaient à vrai dire que de petits caboteurs, tirant à peine de 2 à 3 mètres et jaugeant de 50 à 150 tonneaux. Quelque modestes que soient ces chiffres, ils prouvent cependant que le commerce n’avait pas alors perdu l’habitude de regarder Aigues-Mortes comme un de ses marchés. On y recevait encore, il y a quarante ans, des huiles, du vin et du blé, des denrées coloniales et une assez grande quantité de vin du Roussillon; on exportait en échange des vins du Languedoc, des alcools, des fruits et du sel. L’Afrique, l’Italie et l’Espagne avaient conservé quelques relations avec l’ancien port de saint Louis ; mais ces dernières lueurs devaient bientôt s’éteindre.

Vingt ans plus tard, en 1860, le nombre des navires diminuait de moitié et n’était que de deux cent soixante-dix, représentant à