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on sème et on récolte à la place même où naviguaient jadis les plus fortes galères de saint Louis et de Charles-Quint.

On voit donc que, si les lignes générales du pays étaient les mêmes que celles qui existent aujourd’hui, si les cordons littoraux étaient déjà formés à l’époque du moyen âge, la topographie générale de la zone maritime offrait de notables différences au point de vue de la submersion avec l’état actuel.

L’illustre monastère de Psalmodi, situé à 5 kilomètres au nord d’Aigues-Mortes, et dont les ruines sont entourées aujourd’hui de terres en pleine exploitation agricole et de marais roseliers, à sec pendant la majeure partie de l’année, était au VIIIe siècle une véritable île; on l’appelait insula Psalmodi. Ce n’est pas que les flots de la mer elle-même vinssent battre au midi, comme le disait l’historien Ménard, le petit monticule de diluvium sur lequel se profile encore la nef dégradée de l’ancienne église carlovingienne; mais le Rhône et les étangs l’entouraient de tous côtés, et leurs eaux n’avaient pas encore déposé cette épaisse couche de limons qui ont fait autour de l’église noyée dans la lagune une ceinture de champs, de terres arables, de prairies et de marais cultivés.

Les navires de la Méditerranée ont pu, pendant toute la durée du moyen âge et même au XVIe siècle, remonter dans le Rhône jusqu’à Beaucaire, en passant par Aigues-Mortes et par Saint-Gilles, au-dessus de toute cette plaine aujourd’hui exhaussée par les alluvions. Les nefs pisanes et génoises, qui faisaient alors presque tout le cabotage entre les ports de l’Espagne, de la France et de l’Italie, appartenaient à cette catégorie de bateaux qu’on appelait des « galères subtiles » et ne tiraient pas plus de 1m, 62 d’eau ; l’accès des étangs qui entourent Aigues-Mortes et Psalmodi leur était donc très facile; et l’historien Roger de Howeden, relatant la route que suivit en 1191 la flotte anglaise qui alla joindre le roi Richard en Palestine, en côtoyant, de Lisbonne à Marseille, les rivages de la Méditerranée, pouvait très bien mentionner « le port de Saint-Gilles, situé comme celui de la bonne ville archiépiscopale d’Arles sur l’une des bouches du Rhône. »

On ne sait rien de bien précis sur l’origine même d’Aigues-Mortes. Une tradition locale la fait remonter à l’époque romaine et considère la roubine actuelle qui joint la ville à la mer comme un retranchement construit par les soldats de Marins. Rien n’est moins prouvé ; et il ne faut voir dans cette vague légende qu’un de ces exemples trop fréquens de la naïve crédulité qui porte les habitans et les antiquaires de la région littorale à attribuer à César ou à Marins presque tous les accidens de terrain de la basse Provence. Le plus ancien document historique que l’on possède sur le territoire d’Aigues-Mortes est cette charte de Charlemagne qui