Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 39.djvu/439

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tous ces sédimens entraînés aux embouchures se sont arrêtés devant la masse inerte des eaux de la mer. Chaque siècle, chaque année, chaque jour, a vu ainsi augmenter le dépôt plusieurs fois séculaire de ces matières meubles charriées par le courant du fleuve ; de là une tendance naturelle de la côte à l’avancement. Les vagues et les courans de la mer produisent un effet inverse. Ils bouleversent et entraînent les terres à chaque instant déposées sur la plage ; de là une tendance au reculement. Ce double phénomène est continu ; il existe depuis un nombre incalculable de siècles et se produit encore sous nos yeux. Le fleuve nourrit la côte de ses alluvions, la mer la ronge et l’appauvrit, et la forme du rivage est la résultante de ces deux actions contraires; mais, dans cette lutte incessante, l’avantage doit rester au fleuve, et l’atterrissement l’emporte toujours sur la corrosion.

Des observations très précises ont permis d’établir que le Rhône, grossi de la Durance, charrie annuellement 21 millions de mètres cubes de matières minérales. Il est difficile de déterminer quelle est la proportion entre les matières minérales livrées à la mer qui restent attachées au sol sous forme d’alluvions, et celles qui sont emportées par les vagues et les courans pour se perdre dans les profondeurs éloignées de la côte; mais on peut, sans erreur sensible, admettre que le tiers, le quart au moins de ces sédimens ne dépasse pas la région des embouchures, arrêté par la masse des eaux de la mer. Il se forme alors un dépôt sous-marin qui augmente tous les jours de volume, finit par émerger au-dessus des eaux, reste comme soudé à la côte et aux berges du fleuve, et constitue en définitive le gain annuel de la terre sur la mer. Les plaines d’Arles et d’Aigues-Mortes, l’île de la Camargue, n’ont pas d’autre origine, et aujourd’hui encore nous voyons les embouchures du Rhône s’avancer chaque année de près de 50 mètres vers le large et augmenter ainsi la superficie du delta. La progression est donc continue ; on peut la suivre pas à pas, et nulle part cet avancement de la terre n’est mieux accentué qu’aux environs d’Aigues-Mortes, où l’on distingue quatre cordons de dunes très nettement dessinés, tous parallèles entre eux et à la ligne du rivage, et qui marquent les anciennes limites de la côte aux siècles qui nous ont précédés.

Dès l’origine de notre période quaternaire, le premier travail de la mer a été de clore pour ainsi dire son domaine par un bourrelet de matières meubles que le Rhône avait récemment déposées dans les eaux peu profondes de la plage sous-marine. Derrière cette ligne de petites dunes, qui est le cordon littoral primitif et que la mer a renforcée de très bonne heure de manière à s’en faire une