Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 39.djvu/430

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
424
REVUE DES DEUX MONDES.

nous pliâmes sous la fatigue, — et, aux clartés douteuses du crépuscule — nous revînmes à la maison, — sur le char rustique d’un de nos voisins !

Rapides et charmantes, les heures — passaient pour nous sans être comptées, — et nous trouvaient toujours tranquilles et rians. — Même quand la nuit, noire et froide, — nous jetait bienveillamment sur notre couche, — nous jouions encore ensemble dans nos rêves.


Et combien d’autres épisodes qu’il faudrait citer ! le jeune étudiant partant pour la ville, accompagné des conseils et des avertissemens de la famille, son joyeux retour aux vacances, la description des plaines de Castille, la douloureuse surprise du jeune homme, rencontrant dans les manières de son amie une réserve à laquelle il n’avait pas été habitué, sa chute terrible du haut de la vieille tour où il va solitaire dévorer ses douleurs, la douce et angélique figure qui se penche sur son chevet pendant son délire, les explications échangées, le touchant aveu de la jeune fille, les promesses de bonheur et d’éternel amour. Mais cette idylle doit finir tristement, comme une élégie. Lorsqu’il revient pour la seconde fois, le jeune homme ne trouve plus à embrasser que le corps inanimé de sa fiancée.

Tout différent d’effet et de ton est le Vertige, sombre récit que remplissent les épouvantables visions du remords. Dans une tour gigantesque, au bord de la mer, vit un noble et puissant baron, Juan de Tabarés, l’effroi de la contrée, qui, depuis des années, détient son propre frère au fond d’un cachot. Cependant il ne se sent pas tranquille.


. . . . . . La nuit sereine dort — d’un vague sommeil ; — la lune resplendit — dans le firmament sans nuages, — et l’air est si calme qu’on le dirait immobile.

Quand la tempête commence — à se déchaîner dans l’âme, — comme ton calme est insupportable, — ô mère nature ! — Tu ne donnes jamais à l’humaine tristesse — la consolation tant désirée, — et, dans les momens de deuil, — noire peine est encore plus aiguë, — sous l’impassible et muette — indifférence du ciel.


Don Juan fait sortir le prisonnier, le conduit dans un lieu désert, et là, cherchant à légitimer sa haine, lui propose un duel ; celui-ci refuse et tombe aussitôt frappé à mort. Le meurtrier ne songe plus qu’à s’enfuir ; mais déjà sa raison s’égare, un voile de sang obscurcit ses yeux, des vapeurs rouges couvrent la terre, la mer et le ciel. Saisi de vertige, il court, il court, mais en vain, car plus il avance, plus il voit de près le cadavre de son frère, et les yeux du nouvel Abel sont toujours ouverts et comme cloués sur lui.