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colorée, rendre cette perfection de la forme, cette élégance et cette harmonie du vers, qu’on n’a point encore dépassée ?

Le poème de Raymond Lulle était compris dans les Cris de combat. Cinq autres ont suivi en moins d’une année ; ils sont publiés séparément, en forme de plaquette, avec beaucoup de soin. Chacun d’eux ne dépasse guère une trentaine de pages, et les mètres en sont tous variés. Le premier en date a pour titre : Dernière Lamentation de lord Byron. Le poète anglais vient de s’embarquer sur le navire qui l’emporte vers les côtes de la Grèce ; pendant les longues heures de la traversée, il fait un mélancolique retour sur les misères de sa vie, son union mal assortie, sa séparation d’avec sa fille, les haines et les rancunes dont il a été victime dans sa propre patrie. Mais voici que déjà les premiers feux de l’aurore dorent la cime du Pentélique. Il touche enfin ce sol sacré de la Grèce, autrefois reine des nations, maintenant si malheureuse, et dans un élan superbe d’enthousiasme et de douleur, il lance vers le ciel cette invocation :


Grèce, Grèce immortelle ! Tendre mère — de héros et de génies ! source limpide — de noble inspiration ! — Éternelle lumière de notre esprit ! — Avec quelle émotion profonde et pieuse, — je respirai pour la première fois l’air qui t’entoure ! — Avec quelle indignation j’entendis — le bruit de tes chaînes et pleurai sur Athènes.

Je parcourus tes champs, tes sombres — bois et tes poétiques collines, j’apaisai ma soif dans tes ruisseaux satires, — et baignai mon corps dans leurs ondes cristallines. — M’abandonnant à mes rêveries, — je contemplai avec un muet étonnement tes ruines, — iiluminées par ce ciel hellène tout rempli de musique, de lumière et de parfums.

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Ton nom, le monde l’a conservé ; c’est en vain — que jaloux de tes nobles entreprises, — le temps rongeur et la rancune des hommes — ont réduit les temples en ruines. — En vain, ô Grèce, tu baises avilie l’implacable main de ton oppresseur, — tu as atteint un renom si haut — qu’il résiste à l’âge et à l’infamie ;

Et jamais il ne périra. Que la lumière — s’éteigne dans ton clair firmament ; — que misérablement roule à terre, — l’immense foule de tes dieux ! — Toujours les échos de la haute cime, — les rumeurs du bois, la mer et le vent, — répètent en cadence les gémissemens — de tes olympiens vaincus.

Vaincus, mais non pas morts. En est-il un — qui ne vive dans le monde de l’idée ? — Apollon y rayonne, Junon y respire, — Vénus Cythérée dort dans sa conque, — le dieu Neptune sur son char marin — fend les flots ondoyans, — Jupiter lance la foudre enflammée — et Bacchus couronne son front de pampres.