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tableaux et ces inscriptions de la galerie de Versailles qui révoltèrent les nations, ces prologues d’opéra qu’il chantonnoit lui-même, cette inondation de vers et de prose à sa louange dont il étoit insatiable, ces dédicaces de statues renouvelées des payens et les fadeurs les plus vomitives qui lui étoient sans cesse dites à lui-même et qu’il avaloit avec délectation ; de là son éloignement de tout mérite, de l’esprit, de l’instruction, surtout du nerf et du sentiment dans les autres; de là tant de mauvais choix en genres principaux; de là sa familiarité et sa bienveillance uniquement réservées à qui il se croyoit supérieur en connoissance et en esprit, surtout une jalousie d’autorité qui décida, qui surnagea sur toute autre espèce de justice, de raison et de considération quelconque. » (P. 9/1.)

Saint-Simon assure qu’il se méfiait des gens d’esprit. N’est-ce pas un grief personnel de l’auteur des Mémoires dont l’esprit frondeur inquiétait le roi? « Louis XIV, dit-il, si on en excepte Mme de Montespan et le particulier de chez elle où il y avoit infiniment d’esprit, le craignit jusque dans les courtisans les plus jeunes. Il ne se plaisoit qu’avec les personnes de l’un et l’autre sexe sur qui il se sentoit beaucoup de supériorité ou qui avoient l’adresse de bien cacher leur esprit, de lui paroître fort inférieur au sein. C’est ce qui a maintenu ses moindres ministres, c’est ce qui a si aisément et si continuellement valu à des enfans les survivances des plus importantes places de secrétaire d’état de leurs pères et qui les y a établis en chef dans leur première jeunesse par la mort de leurs pères. Louis XIV s’applaudissoit avec une complaisance extrême de les former aux affaires et rien ne lui plaisoit tant que leur aveu feint ou véritable d’ignorance. Aussi a-t-on vu comment les affaires ont tourné depuis que de pareils ministres ont gouverné. » (P. 124.)

Après la mort de Louis XIV, Saint-Simon jette un coup d’œil sur l’état de la France, dont il montre toutes les forces épuisées : « Tels furent, dit-il, les fruits d’un gouvernement de cinquante-cinq ans, des funestes maximes du cardinal Mazarin soutenues de la perfide ambition de Louvois. L’excès du déplorable ne fut pas un spectacle si frappant, quelque horreur qu’il put inspirer. Tout se peut réparer avec le temps, de la suite et des hommes, mais des hommes il n’y en avoit plus. Louvois, pour sa grandeur, avoit tari les généraux et les capitaines dont aucun ne pouvoit plus se former. » (P. 359.) Et plus loin il revient sur la même idée: « On se plaint tout haut qu’il n’y a plus d’hommes, qu’on n’en peut trouver pour aucun employ ; les plus petits sont dans la même pénurie. On vient d’en voir la cause due aux maximes pernicieuses de ce très long