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suivie des proscriptions, des supplices, des galères sans aucune distinction d’âge, ni d’estat, le long pillage des dragons autorisé partout, déchira les familles, arma parens contre parens pour avoir leur bien et les laisser mourir de faim, dépeupla le royaume et transporta nos manufactures et presque tout notre commerce chez nos voisins et plus loin encore, fit fleurir leurs estats aux dépends du notre, remplit leur pays de nouvelles villes et d’autres habitations, et donna à toute l’Europe l’effrayant spectacle d’un peuple si prodigieux, proscrit, fugitif, nud, errant, sans aucun crime, cherchant un asile loin de sa patrie. L’expulsion des Maures, dont l’Espagne n’a pu se relever, estoit une bonne leçon. Les huguenots n’avoient plus rien en eux qui les pust faire craindre. Il falloit gaigner leurs ministres peu à peu par des bienfaits, et les principaux d’entre eux, les réduire tous de fait, mais sans déclaration publique, au seul négoce, aux arts, aux métiers, et les nobles et les plus riches à vivre de leur bien sans nul employ civil ny militaire, réduire peu à peu le nombre de leurs presches pour les leur rendre plus incommodes par l’éloignement et les induire à les moins fréquenter. D’ailleurs ne leur point faire d’injustice, ne leur chercher point querelle, ne les distinguer en rien sur l’utile, biens, impost, etc., des catholiques, se mettre bien dans l’esprit que la religion se persuade et ne se commande point, et qu’elle ne peut s’estendre que par la voye que Jésus-Christ a enseignée et pratiquée et après luy ses apostres et les hommes apostoliques ; enfin par une conduite douce, sage, unie, suivie, pratiquer la charité qui est l’âme de la religion... »

« On verra bientôt qu’à l’immense playe intérieure qui fut le fruit si amer de cette horrible exécution d’un si pernicieux conseil, se joignit une grande guerre comme Louvois se l’estoit bien promis et que dès cette année la fameuse ligue d’Augsbourg se prépara... Innocent XI, Benoît Odescalchi, qui estoit lors assis sur le saint-siège, ne fut pas la duppe de cette action prétendue si religieuse, il n’en vit que la politique prétendue et en détesta les sacrilèges et les horreurs. » (P. 237.)

Quelle que soit l’énergie de Saint-Simon en parlant de la révocation de l’édit de Henri IV, il est un aspect du règne de Louis XIV qu’il ne peut envisager sans une tout autre indignation. Abus d’autorité, guerres inutiles ou ruineuses, fautes d’état, il parle de tout cela avec l’accent du politique, mais qu’il s’agisse des mœurs privées du roi, sa tête s’échauffe, sa plume s’emporte, et il n’est pas d’expression assez ardente pour donner cours à sa colère. Aurait-il craint ses propres violences ? La première fois qu’il aborde ce sujet dans le Parallèle, il semble prendre contre lui-même des précautions