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ministres furent d’accord, s’aidèrent et se servirent réciproquement et marchèrent toujours ensemble d’un pas égal et uniforme jusques dans leurs plus fortes divisions; mais les divisions se mirent entre les deux principaux tenans dont l’un joua à perdre l’état pour renverser l’autre. Colbert ne songeoit qu’à rendre les peuples heureux, le royaume florissant, le commerce estendu et libre, remettre les lettres en honneur et utilité et avoir une marine puissante. Ses succès grands en tous ces points avoient besoin d’une paix longue et profonde, mais ces mêmes succès irritoient Le Tellier et son fils, à qui des ongles crurent de bien bonne heure. La guerre estoit leur fait pour s’insinuer de plus en plus auprès du roy pour contrebalancer Colbert et du costé du roy et du costé du monde par les créatures que les avancemens militaires leur acquéroient, il n’estoit pas difficile d’entester de conquestes un jeune monarque, riche, puissant, superbe, affamé d’acquérir de la gloire, et c’est ce qui produisit les deux guerres d’Hollande.

« Arrêté par la paix de Nimègue sur les dépenses de campagne, il se mit à bastir des places et à en fortifier d’autres, quelques-unes nécessaires, mais beaucoup tout à fait inutiles. Mais la paix le tourmentoit. » (P. 234.) « Louvois étouffoit sous le poids de la trêve de vingt ans conclue avec la maison d’Autriche en août 1684. »

Saint-Simon poursuit en Louvois le représentant de la politique belliqueuse qu’il déteste. Son esprit, qui a gardé sur tant de points l’empreinte du passé, est, en ce qui touche la guerre, tout pénétré d’un souffle nouveau. « La guerre, dit-il, est un fléau qui est le châtiment des passions des hommes. » Il se demande comment l’art de faire la guerre est devenu « le point capital pour un chef, ce qui a contribué à augmenter le brillant des conquêtes, à éblouir dans les héros et dans les grands capitaines jusqu’à leur passer de grands vices et de grandes ruines et qui a fait dire sur Alexandre que, tandis qu’on punit de mort les petits voleurs, on élève des autels aux grands. » (P. 28.) « Si un monarque, continue-t-il, orné de ce talent qui impose si fort aux hommes en abuse, il ne travaille que pour soy, il acquiert un grand nom, il fait trembler ses voisins, il leur fait la loy, mais c’est aux dépens de son royaume. Tandis qu’au dehors tout retentit de ses exploits, de la terreur qu’il imprime, de la gloire qui l’environne et qu’il augmente chaque jour, tout au dedans gémit et pleure, ses peuples accablés périssent de faim et de misère, et, indépendamment des revers si communs dans les armes, ce prince laisse un état ruiné et la haine et la jalousie de ses voisins pour héritage. » (P. 29.)

L’auteur du Parallèle avait vu la décadence de Louis XIV, les coalitions désastreuses de la fin du règne : il en avait l’âme ulcérée. « Henri IV et Louis XIII, dit-il, eurent sans cesse des alliés pendant