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été roi qu’en peinture. » (P. 228.) Autour de lui, d’admirables ministres : de Lionne, Colbert, Letellier, Louvois qui allait poindre. — « Ces fortes têtes, dit Saint-Simon, avaient déjà bien reconnu quel était le roi : peu d’esprit naturel avec un sens droit, une ignorance générale jusqu’à l’incroyable, de la défiance générale sur tous gens et choses, une soif de grandeur, d’autorité, de gloire, jusqu’à ne vouloir de grand que luy, une crainte d’estre gouverné jusques à l’ostentation de ne l’estre pas, de la bonté et de l’équité naturelles, une jalousie de tout faire et de tout gouverner et toutte l’ouverture que peut donner à peu d’esprit et à une profonde ignorance l’usage d’une cour fine et pleine d’esprit en hommes et en femmes avec qui il avoit continuellement vécu jusqu’alors tandis que Mazarin estoit seul maistre des affaires, mais dont le commerce n’avoit pu luy communiquer qu’un extérieur de superficie. Ses ministres ne négligèrent pas de profiter de ce caractère. Ils l’infatuèrent à l’envi de sa grandeur et de son autorité pour l’exercer eux-mêmes et n’en laissera personne qu’à eux pour abaisser toutte grandeur par ce moyen sous eux, et s’élever à l’égal des grands véritables en persuadant au roy que toutte autorité autre que la leur estoit usurpation sur la sienne qu’ils ne faisoient qu’exercer, et de là que sa grandeur estoit aussi la leur, avec quoy par degré ils passèrent du rabat et d’un estat moins que médiocre à celuy où on les voit aujourd’hui. Pour luy oster la défiance sur le gouvernement et du même coup se l’assurer tout entier, ils l’accablèrent de détails; comme le petit luy estoit fort homogène, il s’y attacha avec avidité et prit titre de se persuader qu’il gouvernoit seul et faisoit tout luy-même, tandis que le grand, que le vaste, que les détails les plus importans demeuroient entre leurs mains, masqués par ces autres détails dont ils l’amusoient sans qu’il s’en aperceust jamais. Mais avec ces précautions ils ne se crurent pas en sûreté. Sa bonté et son équité naturelle les inquiettoit et plus encore les accès auprès de luy des plus considérables ou des plus favorisés courtisans qui pouvoient éclairer le roy sur leur conduite et les traverser. Ils firent donc en sorte de dégouster le roy de cet accès comme contraire à sa grandeur et à ce respect qui devant luy devoit égaler tout le monde dans la crainte, la retenue et le silence et aussy comme contraire à son repos en l’importunant de mille discours captieux et dangereux. Avec cette apparence de grandeur des rois asiatiques et de soulagement d’importunitéz, ils parvinrent à renfermer le roy de façon qu’il n’y eut plus moyen de l’aborder qu’en public et qu’il fallut, grands et petits et gens de touttes les sortes, passer en tout et partout par les mains des ministres qui par là devinrent maistres absolus de toutes les affaires, les grâces et les fortunes et peu à peu mirent tout sous leurs pieds. En cela les