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mérite, par raison pour les soutenir, les encourager, les récompenser, et par justice sur soy-même qui ne vouloit pas s’apercevoir de tout le grand qui estoit en lui, mais croire que rien en ce genre ne luy estoit deu. Sa tempérance luy fit méconnoistre tous les plaisirs excepté la musique et la chasse pour se délasser. Point de jeu, peu de bastimens, où Henri IV avec toutte sa parcimonie avoit été prodigue. Louis XIII fut exact à récompenser les services et la vertu et partout religieux avec lumière et discernement. Il fut aussi très bienfaisant et très occupé du bonheur de ses peuples, sans affectation et sans songer à l’applaudissement, mais par bonté d’âme, par humanité, comme estant chargé de ce soin par celuy à qui il en devoit rendre compte. » (P. 118.)

Au terme de cette analyse, que devons-nous penser de l’œuvre poursuivie par l’auteur du Parallèle?

Par une singulière rencontre, cet écrit voit le jour à une époque où plus d’un historien essaie de relever la mémoire du roi auquel la France ne saurait oublier qu’elle doit les dix-huit années du gouvernement de Richelieu. A coup sûr, plus que personne Saint-Simon a voulu grandir Louis XIII. Ne cherchons pas ici uniquement une page d’histoire ; nous venons de lire les fragmens d’une défense, un essai de réhabilitation. Qu’en doit-il rester dans l’esprit? Quelle est la part de la vérité et celle de la louange? L’art du peintre n’est-il pas souvent d’embellir le modèle sans altérer complètement aucun trait? Saint-Simon a eu raison de dénoncer une éducation coupable : sur ce point, il n’en pouvait trop dire. Il a mis habilement en lumière l’épanouissement de ce jeune homme que tout avait préparé à être « un parfait automate » et qui sut montrer du courage personnel, une volonté persistante, et par-dessus tout fut capable de discerner un esprit supérieur, de se fier à lui, de comprendre ses desseins et de le défendre. Entre l’enfant qui grandit dans l’étiolement et le maître qui appelle, garde et soutient un ministre de génie, il y a un contraste que Saint-Simon fait ressortir en termes qui ne s’effaceront pas. Ces pages font pardonner les entraînemens de l’écrivain quand il veut élever au premier rang les talens militaires du fils de Henri IV. Ici, ce n’est plus l’historien, c’est le panégyriste qui parle. Que dire ensuite du tableau de ses vertus privées, de son humilité, de sa modestie, de son horreur des flatteries? Il y a là des traits que ne dément pas entièrement l’histoire. Voyez avec quel soin Saint-Simon recule devant un éloge, lorsqu’il est manifestement contraire à la vérité; il énumère les mérites du roi; il insiste sur la piété et la justice; il ne dira rien ni de la douceur, ni de la pitié. Des sévérités royales, des exécutions sanglantes, il ne parlera que pour s’écrier, après de longs récits tout entremêlés de portraits comme il aime à les tracer: