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retraite par les raisons des lieux, des logemens, des vivres, de la saison qui feroient périr l’armée. » — Louis XIII tint bon et mit son obstination à chercher lui-même un passage à travers des sentiers affreux, en prenant pour guides les chevriers. À en croire le fils du favori, le roi aurait découvert le chemin, formé seul et fait adopter le plan qui aurait permis peu de jours plus tard d’enlever le Pas-de-Suse et de terminer glorieusement la guerre[1].

Le second exemple qu’invoque notre auteur est de 1636. Lors de la prise de Corbie, en présence de la panique qui s’empara de Paris, que se passa-t-il entre le roi et le cardinal ? Dans le conseil auquel assistait Claude de Saint-Simon, son fils assure que Richelieu aurait « opiné à des partis faibles, parlant de la retraite du roi au-delà de la Seine » et même suivant quelques-uns au-delà de la Loire. Le conseil fut ébranlé : seul, le roi tint bon, réfutant « cet avis » par les plus fortes raisons, alléguant que sa retraite ne feroit qu’achever le désordre, précipiter la fuite, resserrer toutes les bourses, perdre toute espérance, décourager ses troupes et ses généraux. » Il expliqua aussitôt le plan qui devait être suivi, donna les ordres à son premier écuyer en vue de son prochain départ pour Corbie, ajoutant « que le reste le joindroit quand il pourroit. Cela dit d’un ton à n’admettre point de réplique, se lève, sort du conseil, et laisse le cardinal et tous les autres dans le dernier étonnement[2]. »

Ce n’est pas ici le lieu de discuter la valeur historique de ces anecdotes dont Saint-Simon garde à lui seul la responsabilité et qui provoqueraient en elles-mêmes plus d’une observation. Ce qu’il faut bien déterminer, c’est le parti qu’en lire l’auteur du Parallèle. Selon lui, Louis XIII demeurait le maître. « De conclure, toutefois, avait-il soin d’ajouter, que Richelieu n’eust pas un très grand crédit sur l’esprit du roy, ce seroit une autre extrémité fort vicieuse : il le servit si bien et si grandement, il le soulageoit de tant de détails, il luy servoit si utilement de plastron à tant de choses embarrassantes qu’il estoit bien naturel que Louis se portast aisément à suivre ses conseils en grand et à faire d’ailleurs ce qu’il

  1. Le récit de la conduite de Louis XIII au Pas-de-Suse se trouve dans les Mémoires. Edit. Boilisle, t. I, p. 172, et plus longuement dans l’un des fragmens inédits donnés par la Revue en 1834 et publié de nouveau ibid., p. 492. On y trouvera les citations qui font croire que Saint-Simon a exagéré le rôle de Louis XIII dans la confection du plan, à la réalisation duquel il contribua par un courage personnel que nul n’a contesté.
  2. Saint-Simon ajoute à ce récit : « Le cardinal demeura à Paris attendant l’événement et ne joignit le roi que lorsqu’il n’y eut plus rien à craindre. » (P. 50.) En fait, ceci est complètement inexact. Le roi partit le 1er  septembre, le 4, Richelieu s’acheminait vers l’abbaye de Chaalis-la-Victoire, se tenant à portée du roi qui était à Chantilly, puis à Senlis, d’où se préparait l’offensive. (V. Marins lopin, Louis XIII et Richelieu. Lettres de Louis XIII à Richelieu.)