Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 39.djvu/383

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Après une longue digression sur la témérité d’Henri IV: « Convenons après tout, ajoute l’historien, que ce défaut est celui des héros et qu’on ne peut refuser de reconnoître pour tel un prince qui a passé presque toute sa vie dans les plus grands périls et les plus grandes actions de la guerre et dont la valeur et la conduite militaire a su reconquérir son royaume sur ses plus puissans sujets, sur l’Espagne et l’Italie, se mettre d’effet la couronne sur la tête, la porter longtemps en paix avec la plus haute réputation et la transmettre réparée et florissante à sa postérité. »

Henri IV avait à vaincre des difficultés de toutes sortes ; il n’avait pas de famille; autour de lui, les intrigues se multipliaient : « Il étoit puissant, dit Saint-Simon, depuis la paix de Vervins, mais toujours dans des périls et des embarras qui, pour n’être pas si à descouvert n’étoient ni moins pénibles, ni moins à craindre, au milieu d’une cour et d’un estat où tout avoit été personnage en son génie plus ou moins important ou élevé ou pour ou contre lui, et qui auroient tous voulu l’être encore. »

C’est le talent du politique que Saint-Simon prise le plus haut. Il comprend ce que, dès le lendemain de la mort de Henri III, son successeur a dû déployer de génie. « Le commencement du règne de Henri IV, dit-il, est incomparable. Livré seul entre deux partis dont chacun voulut luy faire la loy et plus encore les principaux de chaque parti assez audacieux pour profiter de son embarras et de ses besoins, se faire grands et redoutables à ses dépens, il sceut les amuser tous, partis et particuliers, souffrir leur insolence avec accourtise, sans toutefois mettre sa dignité en compromis, les tirer de Saint-Cloud sans s’expliquer avec pas un, sous prétexte de la nécessité de faire la guerre, puis de l’entretenir si vite et d’y faire tellement admirer sa valeur et sa capacité et d’y faire craindre aux siens sa vigilance à bien examiner comment ils s’y comportoient, qu’il se donna le tems de vaincre, de se mettre en estat de n’estre plus rançonné par les principaux de son parti, d’en demeurer l’admiration et à peu près le maistre. Un commencement si lumineux et qui fit un si grand effet parmi amis et ennemis ne peut entrer en aucun parallèle, tant la grandeur et l’art personnels en furent soudainement utiles et à toujours éblouissans. » (P. 305.)

Malheureusement le roi qui savait remporter tant de victoires ignorait l’air de se vaincre lui-même. Le témoin indigné des désordres de son temps se montre sans merci. « La faiblesse qu’Henry IV eut toute sa vie pour les femmes fut son plus grand et son plus funeste écueil ; il fut le malheur de sa vie, il est encore celui de son royaume, comme on le verra en son lieu. C’est ce qui a formé les monstres qui l’ont pensé perdre et qui au moins l’ont déchiré;