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ne fait que grandir avec l’humanité même : il caractérise les temps modernes, il doit caractériser aussi l’éducation moderne. Nos grandes découvertes dans les sciences physiques et naturelles, nos grandes réformes dans les sciences sociales et les institutions, nous les devons à cet esprit philosophique que Montaigne appelait « une honnête curiosité de s’enquérir de toutes les raisons des choses; » l’âge de maturité, l’âge de raison arrive, pour les sociétés comme pour les individus, quand l’esprit philosophique pénètre dans les intelligences, dans les lois, dans les mœurs, surtout dans l’éducation. Ces principes une fois découverts, le reste vient tôt ou tard : la fin une fois posée, les moyens qui y conduisent se révèlent l’un après l’autre. Le genre humain doit son progrès moral et social aux chercheurs qui savent poser des questions nouvelles, trouver des méthodes nouvelles, apercevoir des principes plus philosophiques et des fins plus élevées. Toute nation peut mesurer sa grandeur et sa force, comme l’a montré lui-même le fondateur du positivisme, à l’énergie de son esprit spéculatif et de son élan théorique; la France en particulier, qui a transporté et doit maintenir avec soin dans l’ordre social le culte des principes, — sans lequel il n’y a point de démocratie viable, — la France pourrait dire d’elle-même et de son œuvre laborieuse tant de fois interrompue, tant de fois reprise à travers les alternatives du découragement et de l’espoir, ce qu’un de ses plus profonds philosophes disait du travail auquel il avait consacré une vie entière, l’Esprit des lois : « J’ai bien des fois commencé et bien des fois abandonné mon ouvrage; j’ai mille fois envoyé au vent les feuilles que j’avais écrites : je sentais tous les jours, de désespoir, les mains paternelles tomber; je suivais mon objet sans former de dessein, je ne connaissais ni les règles ni les exceptions, je ne trouvais la vérité que pour la perdre; mais quand j’ai eu découvert mes principes, tout ce que je cherchais est venu à moi, j’ai vu mon œuvre commencer, croître, s’avancer et finir. » La jeunesse est la page encore blanche sur laquelle s’écrira l’avenir du pays; celle-là, ne l’abandonnons pas au vent, mais que les « mains paternelles » y marquent d’avance, par une éducation vraiment nationale, tout ce qui peut assurer un jour la grandeur et la prospérité de la patrie.


ALFRED FOUILLEE.