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sur la méthode. » Or, si on apprend bien aux enfans les règles de la grammaire, je ne vois pas pourquoi on ne leur apprendrait pas, sous une l’orme concrète, par des exemples historiques et des leçons de choses, les règles beaucoup plus intéressantes de la logique scientifique, qu’il faut se garder de confondre avec la logique scolastique.

Commencé en seconde, par un des deux professeurs de philolosophie, avec une leçon par semaine (trente-cinq leçons environ par année), le cours d’esthétique et de logique appliquée aux sciences s’achèverait en rhétorique avec le même nombre de leçons. Là serait à sa place l’étude à la fois philosophique, littéraire et historique, de la poésie épique, de la poésie dramatique, de l’éloquence et des divers genres en prose. En enseignant les préceptes principaux de la rhétorique, on aurait soin de faire ressortir la vanité et le danger de toute rhétorique sans pensée, indifférente à la vérité et à la moralité de son objet. Au lieu d’exercer les élèves à la fausse éloquence, comme on faisait jadis, on les mettrait au contraire en garde contre toute déclamation et toute phraséologie creuse ; on les habituerait par cela même à l’éloquence digne de ce nom, à celle qui, selon Pascal, se moque de la rhétorique et qui naît de la force même de la pensée, de la vivacité des émotions, de la sincérité du langage. La vraie éloquence, n’étant que la raison émue, a été appelée avec justesse un mélange de poésie et de logique. Aussi trouverions-nous, pour nos rhétoriciens, un utile complément à l’étude de l’art oratoire dans la philosophie des sciences de raisonnement. Autrefois, tout traité de rhétorique renfermait un petit traité de logique, mais mal conçu; il faudrait prendre les choses de plus haut, les rendre intéressantes par l’élévation même du point de vue et fructueuses par des applications pratiques[1].

En somme, les réformes que nous venons de proposer sont faciles,

  1. L’étude des règles de la définition et du raisonnement, celle des sophismes de l’esprit et du cœur, ainsi que l’histoire abrégée des sciences exactes et de leurs progrès constituerait un excellent exercice pour les rhétoriciens: elle pourrait arrêter chez eux le penchant à la déclamation et à ce rapetissement des sujets qu’on appelle amplification. L’habitude de l’amplification oratoire, qui commence à disparaître des collèges de l’Université, subsiste encore tout entière dans les séminaires et les établissemens congréganistes, où aucune thèse ne paraît trop étrange pour être soutenue, « amplifiée » et embellie. Nous nous rappelons avoir eu à corriger, comme examinateur au baccalauréat, une dissertation d’un élève de ces établissemens qui était un modèle du genre. Le sujet donné était le suivant : « Les perfections que l’on a toujours attribuées à Dieu sont celles de nos âmes, élevées à l’infini; » l’élève avait entendu : celles de Mozart. Sans concevoir le moindre doute sur ce sujet, il s’était mis à démontrer éloquemment, selon toutes les règles de l’amplification, que Dieu est un Mozart céleste.