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S’ils s’intéressent à une expérience ou à une découverte, ne s’intéresseront-ils pas à l’expérimentateur et à l’inventeur, dont on leur raconte l’histoire et qu’on leur montrera à l’œuvre? C’est comme si l’œil voulait tout voir et ne trouvait pas de plaisir à se voir lui-même, au moins à l’aide d’un miroir. Ce n’est pas seulement en remplissant l’esprit de faits et de lois abstraites qu’on développe et suscite le véritable esprit scientifique : témoin certains élèves chargés de sciences, qui ont cependant aussi peu d’invention et d’imagination scientifique que d’invention littéraire. L’intelligence, qui mesure tout à elle-même, ne doit donc pas négliger de mesurer sa propre valeur, sa portée, ses lois. La logique vivante et concrète, appliquée aux sciences, opérant sur des faits et non pas seulement sur des formules, est une excellente gymnastique pour l’esprit. « De même que l’anatomiste, dit Helmholtz, quand il se sert du microscope, doit se rendre compte de son instrument, de même le premier devoir, pour tout artisan de la science, est d’étudier exactement la portée de cet instrument supérieur, la pensée humaine[1]. » Helmholtz, se rappelant à ce sujet les souvenirs de sa jeunesse et l’état où se trouvait alors la médecine, montre que l’état rudimentaire de cette science tenait à l’ignorance de la logique et des méthodes exactes, à la persuasion où étaient les médecins que le bon sens suffit et est supérieur aux règles. Un docteur repoussait l’auscultation «comme un procédé de mécanique grossière par lequel la noble créature humaine est réduite à l’état de machine; » un autre trouvait « du plus mauvais goût » de compter les secondes sur sa montre en tâtant le pouls du malade ; un autre, dans les maladies d’yeux, refusait d’employer l’ophtalmoscope, « sous prétexte que la nature lui avait donné une assez bonne vue ; » un physiologiste célèbre disait : « Je laisse les expériences aux physiciens, la physiologie n’a rien à y voir. » Ainsi raisonnent encore ceux qui dédaignent l’étude des méthodes et la philosophie des sciences, au lieu de suivre l’exemple de Helmholtz lui-même et, chez nous, de Claude Bernard. Ce dernier n’a-t-il pas donné les préceptes en même temps que les exemples de l’expérimentation, de l’induction, de l’hypothèse scientifique? « Il n’y a de vrai et de durable, a dit encore Helmholtz, que ce qui est fondé

  1. Das Denken in der Medicin.