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sur la grammaire comparée[1]. Ce serait un moyen d’éclairer la route pour nos jeunes humanistes et de changer la lecture machinale des textes en une lecture intelligente. Loin d’enlever les élèves à leurs études grammaticales et littéraires, cette étude additionnelle les y ferait entrer plus profondément et seconderait ainsi la tâche des professeurs d’humanités.

En second lieu viendrait la philosophie de l’histoire ou, si l’on préfère, la logique des sciences historiques[2]. En troisième lieu, la philosophie des sciences physiques et naturelles aurait pour but de faire comprendre aux enfans la méthode des sciences mêmes qu’on leur enseigne[3]. Si les phénomènes de la nature paraissent merveilleux aux enfans, l’art par lequel l’homme les reproduit et souvent les produit ne leur paraîtra-t-il pas plus précieux encore?

  1. Les signes en général, leur rapport avec le sentiment et avec la pensée, leurs diverses espèces, le langage d’action et de physionomie, les expériences récentes sur la relation des gestes et des mouvemens du visage avec les émotions intérieures, le langage oral inarticulé, son rôle chez les animaux, les moyens de communication mutuelle dont les animaux disposent, la transformation du langage chez l’homme en parole articulée, les sons élémentaires et le mécanisme de la voix, les machines parlantes construites par la science moderne, l’évolution du langage à travers l’histoire, les racines, les interjections, les mots imitatifs, les flexions, les déclinaisons, l’altération des mots l’extension de leur sens, leur lutte pour la vie et la sélection dans le langage, la filiation des langues, leur classification, l’histoire générale des langues scientifiques et des langues indo-européennes, le génie distinctif des diverses langues modernes, les caractères particuliers de la langue française, etc., formeraient un programme qui ne serait pas à dédaigner et qui introduirait en France, dans une sage mesure, un peu de ce goût philologique si répandu en Allemagne. Sur l’utilité de la philologie dans les études, voir, outre les travaux bien connus de MM. Bréal et Brachet, l’excellent livre que M. Salomon Reinach vient de publier sur la philologie classique.
  2. On commencerait par étudier les règles de la critique du témoignage humain en matière de faits judiciaires, puis en matière de croyances (critique des failles et des légendes, notions très générales de mythologie comparée), enfin en matière de faits historiques. Définition de l’histoire, son importance, son utilité; sa méthode : 1° pour établir les faits par le moyen des témoignages, documens et monumens de toute sorte; 2° pour expliquer les faits au moyen de leurs causes générales et particulières; 3° pour juger les faits d’après les principes de la science morale, sociale et politique. — Tels seraient les principaux points à traiter sous une forme élémentaire et à l’aide de nombreux exemples. Nous croyons qu’après cette étude l’histoire offrirait aux jeunes gens un attrait nouveau et un nouveau sens, au lieu de leur apparaître comme une aride nomenclature de faits et de dates, comme un récit monotone de batailles et d’intrigues de cour.
  3. Définition et classification des sciences expérimentales; leurs procédés principaux; l’observation (exemples d’observations célèbres), l’expérimentation (exemples de grandes découvertes et expériences par lesquelles on y est arrivé) ; l’induction et ses règles exemples empruntés au cours de sciences suivi par les élèves); l’analogie; les classifications artificielles et naturelles de Jussieu, Cuvier, Geoffroy-Saint-Hilaire; l’hypothèse et son importance (pages de Claude Bernard sur l’hypothèse); rôle de l’imagination dans les sciences; nature et procédés du génie scientifique; exemples fournis par les grands savans ; importance de la spéculation désintéressée pour le progrès même des sciences d’application; histoire générale des sciences physiques et naturelles, leur état inférieur dans l’antiquité et au moyen âge, leur essor dans les temps modernes, etc. — Voilà les linéamens d’un programme fort instructif. Aucun professeur de sciences ne regretterait de voir ses élèves ainsi initiés aux méthodes scientifiques, fallût-il pour cela sacrifier quelques théorèmes de géométrie ou d’algèbre, quelques détails de physique ou de cosmographie. L’intérêt pris par les élèves aux sciences en serait accru.