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enseigne dans les établissemens demeurés fidèles aux traditions des derniers siècles, les langues et les littératures anciennes sont le pensum à l’état chronique. Condamner les élèves aux vers latins et au thème grec, c’est le supplice le plus propre à leur faire prendre en horreur ce qu’on prétend leur faire aimer. Faites au contraire passer sous leurs yeux un certain nombre d’objets et de chefs-d’œuvre, en les commentant, en expliquant leurs mérites ou leurs défauts, les élèves apprendront quelque chose, même malgré eux. et surtout ils retiendront ce qu’ils auront appris. La mémoire des mots et des formules est fugitive ; la mémoire des formes et des sentimens est tenace. Non-seulement tout livre d’esthétique, mais tout livre d’histoire, toute édition des classiques devrait être illustrée de nombreuses gravures représentant avec exactitude les hommes, les choses, les villes, les monumens, les œuvres d’art, les costumes, les armes, les instrumens usuels, etc. Que dirions-nous d’un traité de physique ou de géométrie sans figures? Ce n’est pourtant guère plus absurde qu’une édition d’auteur grec ou romain sans gravures. Tout livre non illustré ou mal illustré devrait être banni par le conseil supérieur. Je voudrais voir aussi les murs de la classe couverts de cartes, de plans, de gravures. Il faut pour cela de l’argent: la France en manque-t-elle ? Si l’empire avait consacré quelques millions de plus à l’instruction publique, la France aurait peut-être payé plusieurs milliards de moins à la Prusse. C’est aux républiques à montrer qu’elles savent encourager l’art par une instruction au besoin luxueuse, mieux que Louis XIV par des pensions à Corneille... et à Chapelain.

En même temps que le sens et l’amour de la beauté, une éducation vraiment humaine doit développer le sens et l’amour de la vérité scientifique. Pour cela il ne suffit pas d’étudier les sciences particulières et leurs résultats particuliers; il faut encore, il faut surtout s’initier aux méthodes et aux principes universels des sciences, ainsi qu’à leur histoire. Aussi M. Cournot a-t-il dit avec profondeur : « La théorie des sciences, elle aussi, fait partie des humanités. Or il y a trois groupes de sciences dont les principes philosophiques seraient intéressans et facilement accessibles pour de jeunes esprits : les sciences philologiques, les sciences historiques, les sciences physiques et naturelles. Nous voudrions donc voir enseignées, sous une forme très élémentaire, à la fin du cours de seconde et dans le dernier trimestre, la philosophie du langage, la philosophie de l’histoire et la philosophie des sciences naturelles. En premier lieu, les élèves s’intéresseraient davantage à l’étude des langues et y feraient des progrès plus rapides s’ils avaient des notions générales sur les lois du langage, sur la linguistique,