Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 39.djvu/347

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

faire. Cela n’est pas aussi certain qu’on veut bien le dire, surtout en matière d’enseignement; cela est absolument faux en matière de préparation; car on ne lutte pas à qui fera le meilleur élève, mais à qui fera recevoir le plus de candidats, à l’aide d’une opération que les Anglais appellent cramming et que j’appelle le bourrage. Il se passe à Brest en ce moment quelque chose d’assez curieux... Vis-à-vis du collège, à quinze mètres de distance, en bordure sur la rue principale, les jésuites ont fondé un collège rival. Ils entendront le tambour annoncer tous nos exercices comme nous entendrons la cloche annoncer tous les leurs. Que vont-ils faire là? De la science? On ne choisit pas Brest pour faire de la science. Ils vont faire de la préparation et ils la feront avec succès, sacrifiant tout au désir d’avoir beaucoup d’élèves reçus et de disputer à l’Université le corps des officiers de marine... Ce n’est plus la science qu’on apprend, c’est la façon de répondre à telle personne. Cet exercice est pénible, il est long, il ne profite pas à l’esprit, je vais même jusqu’à croire qu’il lui est nuisible; mais il est infaillible ou à peu près; il ne demande qu’un bon préparateur, de la ténacité et du temps. Tout le monde est au courant de cette situation. On va donc à l’établissement qui fait recevoir beaucoup d’élèves. On commence l’étude du programme de bonne heure et on se présente avant d’être tout à fait prêt, pour s’accoutumer à l’examen. Avec cette triple recette, si l’on n’est pas décidément stupide, si on ne tombe pas malade, et si on ne joue pas de malheur, on est à peu près sûr d’entrer à l’Ecole polytechnique... Dans ces conditions, la concurrence ne tourne pas précisément au profit de la science. » Qui a si pertinemment répondu d’avance à M. Jules Simon? — C’est M. Jules Simon lui-même[1]. Nous ne dirons donc pas : — Si vous ne tenez qu’au nombre des élèves, faites mieux que vos concurrens; nous dirons : Faites pis, rabaissez davantage encore le niveau de l’enseignement, réduisez-le à un pur mécanisme; comme les bonzes de Chine ont inventé des moulins à prières, inventez des moulins à équations et faites que, le jour venu, vos élèves puissent répondre à tout sans savoir rien à fond, vous aurez alors de la clientèle. De même dans l’art : ravalez la peinture, la sculpture, la musique, subventionnez l’Opéra pour jouer la Fille de Mme Angot, Orphée aux enfers, la Belle Hélène, exhibez le plus de danseuses possible, aussi peu vêtues que possible, — vous ferez salle comble. En médecine, débitez de l’orviétan, des recettes et des remèdes secrets pour guérir tous les maux ; en morale, professez la science des distinguo, des restrictions mentales, l’art de nier tout « cas niable, » de tromper et de dérober, de calomnier en « sûreté de conscience; »

  1. La Réforme de l’enseignement secondaire, 1874, p. 31 et 33.