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des croyances religieuses. Il est nécessaire, si nous voulons que la France vive, d’y reformer l’unité de l’esprit public, et on y arrivera encore mieux en prenant le mal à sa source, c’est-à-dire dans l’enseignement de la jeunesse, que par des mesures compressives. Chez les nations protestantes, cette difficulté n’existe pas au même degré. Outre que les partis politiques n’y ont ni la même hostilité profonde, ni le même acharnement, la communauté d’une religion plus ou moins largement interprétée, mais toujours compatible avec l’esprit d’examen et par cela même avec le progrès, y rapproche les intelligences. Chez nous, nous voyons en présence les deux extrêmes, sans aucun terme moyen : catholicisme ultramontain et complète incrédulité. Si cette situation a le mérite d’être plus franche, et peut-être préférable à certains points de vue, elle ne laisse pas d’être inquiétante sous le rapport politique. Il y a réellement deux Frances dans la France, l’une avant tout romaine, l’autre avant tout française. Il serait fort injuste de méconnaître le patriotisme des catholiques, mais ces derniers avoueront eux-mêmes que leur patriotisme a exclusivement pour objet la France catholique, que les intérêts de leur foi, ceux du pape et de Rome, sont nécessairement au-dessus des intérêts purement français, car il vaut mieux obéir à Dieu qu’aux hommes, et au représentant infaillible de Dieu qu’aux représentans très faillibles de la volonté nationale. On reconnaît aussi que, malgré de rares exceptions, les sympathies des catholiques n’ont jamais été pour les institutions républicaines, difficilement conciliables avec le Syllabus. Enfin, un catholique qui soutiendrait que sa religion a besoin de faire des progrès et de s’adapter aux nécessités de la vie moderne serait lui-même voué par tous les conciles à la formule sacramentelle : Anathema sit. Que les écoles du gouvernement, les grandes administrations, la magistrature, le professorat, l’armée elle-même soient de plus en plus envahis par des jeunes gens imbus de ces doctrines, et la division intime des esprits ira croissant jusqu’à ce qu’éclate une lutte ouverte. Ou nos institutions ne résisteront pas à ce travail souterrain qui les mine, ou elles n’y résisteront que par des mesures violentes qu’il serait sage de prévenir. Plus le gouvernement laisse de droits ou, pour mieux dire, de privilèges à ses adversaires, plus il s’impose à lui-même de devoirs. Or, ce qui manque à beaucoup d’élèves des écoles du gouvernement, à la plupart de ceux qui se destinent aux sciences et à l’industrie, c’est une instruction vraiment civique, morale et sociale, que les professeurs de philosophie peuvent seuls donner. Dans l’université même on n’apprend pas assez de philosophie aux élèves qui préparent leur baccalauréat ès-sciences. Quant aux élèves des congrégations, on devine à quelle dose et sous quelle forme la philosophie leur est dispensée. Ces élèves n’en ont pas pour cela