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fallait attendre le résultat de cet entretien et négocier avec le tsar un accommodement honorable. Ces divers points arrêtés, le comte Zinzendorf reçut Tolstoï, lui narra gravement toute l’affaire d’Ehrenberg et du voyage à Naples, soin bien superflu après les rapports circonstanciés de Roumiantzof ; le comte déclara qu’en aucun cas l’empereur n’userait de violence vis-à-vis d’un prince infortuné; que les agens russes seraient admis à converser avec le tsarévitch, et qu’il allait lui envoyer une personne de confiance pour le décider à retourner chez son père. Tolstoï se récria vivement contre ce nouveau délai ; comprenant qu’il n’obtiendrait pas la remise du prisonnier à Vienne même et sans conditions, il insista pour porter le premier à Alexis les exhortations paternelles; nul mieux que lui ne pourrait les transmettre exactement et toute mission préalable ne servirait qu’à tenir en garde un esprit prévenu, à reculer la solution. Le ministre autrichien céda ; Tolstoï reçut enfin l’autorisation de partir pour Naples, d’y voir Alexis et la promesse que les agens de l’empereur resteraient neutres durant ces pourparlers, sans rien tenter pour influencer leur protégé. Un courrier quitta Vienne le même jour, porteur d’instructions adressées au comte Daun, vice-roi de Naples : — « Vous recevrez Tolstoï courtoisement, en sa qualité de plénipotentiaire du tsar. Vous fixerez immédiatement le jour et l’heure de l’entrevue entre lui et le tsarévitch, mais vous aurez soin de prévenir ce dernier quelques heures à l’avance. S’il refuse de recevoir l’envoyé, vous lui ferez connaître ma volonté expresse que cette entrevue ait lieu. Vous ou l’un des vôtres assisterez aux conférences ; le courrier qui vous porte les présentes sait la langue russe et vous servira de truchement en cette occasion. Vous devrez prendre vos précautions pour qu’aucun des Moscovites (gens sans scrupules et capables de tout!) ne porte la main sur le tsarévitch et ne se livre à des voies de fait. Si le prince consent à suivre Tolstoï et à retourner chez son père, vous le mettrez immédiatement en liberté. S’il refuse, il devra consigner par écrit ses raisons et ses demandes, qui me seront aussitôt adressées. Vous pourrez lui représenter que la colère de son père est surtout excitée par la femme déguisée qu’il mène avec lui et que l’éloignement de cette femme aiderait à la réconciliation; mais il serait bon de connaître les intentions du tsarévitch avant qu’il ait pu causer avec cette femme, de peur qu’elle ne le pousse à la résistance. » — La « femme déguisée » va désormais jouer un grand rôle. L’empereur la considérait comme un obstacle à écarter; nous verrons bientôt comment Tolstoï pensait à cet égard et s’il ne connaissait pas mieux le maniement des hommes. Lui et son compagnon Roumiantzof arrivèrent à Naples le 24 septembre ; le comte Daun leur fit le meilleur accueil. Ce vieil homme de cour avait pénétré