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plusieurs autres lettres adressées à Christine. Nous les avons analysées en suivant, autant qu’il était possible, l’ordre chronologique. Nous signalerons ici une lettre de frère Aldobrandini, dans le style contourné d’un écolier de rhétorique, très intéressante cependant, et qui montre mieux qu’aucune autre la naïveté enfantine des sentimens de la petite société de Stommeln. Une lettre de frère Maurice, datée de Paris, mérite d’être citée. Le pauvre frère est bien dépaysé dans la maison de la rue Saint-Jacques. Le changement de régime l’a fort éprouvé : « Je m’habitue à manger des œufs pourris et rationnés plus chichement que ne le sont les œufs de l’Eifel que mangent nos frères de Cologne. Ah! quand je pense aux œufs frais, aux légumes que nous mangions pendant que, assis autour de la marmite, nous regardions cuire la viande ! Que de fois je descends en esprit dans cette Égypte de Stommeln ! Et mes compagnons font comme moi, et tous nous y descendrions de corps, quand même Stommeln serait de dix milles plus loin de Paris qu’elle ne l’est de Cologne! « Il se sent surveillé; il n’ose avouer l’amitié qu’il a pour elle, « par crainte des juifs[1]. » Qu’elle ne montre sa lettre à personne, « de peur que, par des interprétations malveillantes, il n’en résulte quelque mauvaise note pour celui qui l’a écrite. » Et en post-scriptum : «Dites à dame Béatrix de préparer des œufs frais pour les frères revenant du chapitre et des confitures de cerises nouvelles, et qu’elle se souvienne de moi, puisqu’elle se trouve bien parmi les béguines. »

Mentionnons encore une lettre de frère Fulquin, spécifiant les petits cadeaux qu’il envoie de Suède à Stommeln. Ce sont des cuillers de corne noire et des cuillers de corne blanche, dont le manche est noir. Une très pieuse lettre d’un jeune religieux anglais à Christine prouve que les sentimens qu’inspirait la sainte fille étaient les mêmes chez les personnes les plus diverses.

Toutes ces pièces, recueillies à Stommeln auprès de Christine, lurent transportées avec son corps au collège des chanoines de Juliers. C’est là que Bollandus les trouva et les copia presque intégralement; Papebroch les publia, malgré leur prolixité, en y joignant une autre Vie de Christine, composée par un religieux de la maison des dominicains de Cologne, entre 1312 et 1325, peut-être en vue de la canonisation de la bienheureuse. Cette Vie n’ajoute rien d’essentiel aux relations originales qui précèdent. Elle nous apprend seulement que les tourmens de la sainte finirent en 1288. Selon l’auteur, cela coïncida avec un événement fameux dans le pays, la bataille de Woringen, livrée entre Siffroy, archevêque

  1. Allusion au propter melum judœorum, souvent répète dans l’évangile de Jean.