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de cœur de Pierre. Il vivait de la pauvre. fille; jusqu’à un certain point, il l’exploitait et cherchait à tirer ce qu’il pouvait de cette amitié, qui le mettait en rapport avec un ordre opulent. Les Bollandistes ont eu le courage de publier cette fastidieuse composition, dont la lecture n’est pas soutenable et qu’on ne peut même parcourir sans un sentiment pénible. Le nombre des purgatoires que subit Christine ne se compte plus. Plus innombrables encore sont les démons qui la tourmentent. Le maître d’école en accuse une fois trecenti et tria millia, c’est-à-dire 3,300. Papebroch écrit à la marge 303,000, ce qui est trop. Les supplices que lui infligent les serpens, les crapauds, sont décrits avec un réalisme d’une révoltante brutalité. La description du démon de l’acedia ne manque pourtant pas de quelque intérêt. Un démon couvert de haillons lui apparaît; à ses haillons pendent de petites fioles pleines de poison. « Je suis, dit-il, le démon qui tend le plus de pièges aux religieux. Je leur verse le contenu de mes petites fioles, et, pleins du dégoût de la vie religieuse, ils tombent dans l’appétit des choses terrestres. C’est ce qui vient d’arriver à ton frère Séguin. »

Tant que les tortures subies par Christine ne se rapportent qu’à sa personne, elles n’ont rien qui surprenne ceux qui s’occupent de la médecine des maladies nerveuses chez les femmes. Le propre des illusions produites par ces maladies est de transformer en phénomènes, supposés extérieurs, de pures sensations intérieures. Mais il en est autrement quand ces étranges récits se rapportent à des faits prétendus publics, à des événemens du temps. Que dire, par exemple, de cette incroyable histoire de sept brigands que Christine convertit au moyen de prodiges dont le pays entier aurait été témoin? il est certain que, pour rendre compte de tels récits, les explications psychologiques et pathologiques ne suffisent plus et qu’il faut admettre dans la conscience obscure de ces âges troublés une façon d’entendre la véracité dont notre conscience claire et rigoureuse ne saurait en aucune façon s’accommoder.

Le récit du maître d’école finit en novembre 1286. C’est justement vers cette date que Christine dut recevoir la lettre par laquelle Pierre lui annonçait son voyage de 1287. Il est bien probable que ce fut cette nouvelle qui interrompit la relation de maître Jean. A quoi bon confier au papier des récits que Christine allait bientôt communiquer à Pierre de vive voix? Si, comme le pense Échard, Pierre revit Stommela dans l’été de 1287, il faut aussi admettre, avec ce savant critique, qu’il reçut de Christine et emporta en Suède l’écrit dicté à sa prière et en vue de lui.

Outre les lettres insérées par Pierre de Dace dans le récit de ses relations avec Christine, on trouve dans le manuscrit de Juliers