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plus curieux qui nous soient parvenus sur les détails intimes de la vie mystique au XIIIe siècle. Conservée par Pierre de Dace lui-même et par les amis de Christine à Stommeln, puis portée avec le corps de la bienheureuse à Juliers, elle y fut plus tard copiée par Bollandus. Christine, à cette première époque, empruntait pour écrire la plume de son confesseur, Gérard de Griffon. Elle dictait sans doute en allemand. Le latin de ces lettres est simple et tout à fait différent de celui de Pierre de Dace. Des expressions telles que mille bene valete ne sauraient être d’un latiniste aussi recherché que l’était Pierre.

La séparation avait été cruelle. La première lettre que Pierre écrit à son amie est un morceau touchant, malgré les afféteries de rhétorique pieuse qui la déparent. Il hésite à dire ce qu’il sent, parce qu’il ne peut l’exprimer, et peut-être parce qu’il ne le doit pas. Le souvenir du passé le remplit de tristesse. Il lui rappelle les larmes qu’elle versa lors de son départ. Il regrette d’avoir trop cédé à la timidité, de ne pas lui avoir dit plus longuement adieu, de ne pas l’avoir saluée familièrement une dernière fois.

Les réponses de Christine sont pleines de cœur. Elle avait toujours espéré qu’il l’ensevelirait de ses mains. Elle avait encore à lui faire beaucoup de confidences. Son état est plus déplorable que jamais. Elle ne pense jamais à lui sans larmes; elle est sûre de sa fidélité; sa seule consolation est d’entendre lire ses lettres, qu’elle garde toutes soigneusement jusqu’à son retour. Elle ne peut voir sans tristesse frère Maurice, qui l’accompagnait quand il vint pour la dernière fois à Stommeln. Elle aussi ne sut à ce moment-là dire ce qui était dans sa pensée. Personne ne le remplacera jamais près d’elle. Ce dont elle le supplie par-dessus tout, pour l’amour de Dieu, c’est que, s’il quitte ce monde, il ne l’y laisse pas plus longtemps en exil.

Les Ve, VIIIe, IXe et Xe lettres du recueil sont de beaux morceaux de littérature mystique. Pierre essaie de prouver que leur affection réciproque n’a et ne doit avoir que Dieu pour objet. Cette mysticité n’empêche pas les effusions les plus tendres : «Je ne puis tout dire, ajoute Christine; vous savez combien je rougis facilement.» Pierre la reprend doucement de ces mots : Conqueror vobis de absentia Dilecti; ce qui ne l’empêche pas de se livrer aux plus vifs transports d’une métaphysique amoureuse.

Des lettres de frère Gérard, de frère Maurice, du curé de Stommeln se mêlent à ces confidences et en augmentent l’intérêt. De petits cadeaux, parfois d’une nature bien naïve, bien personnelle, sont échangés entre ces pieuses personnes. L’aimable Hilla van den Berghe et la vieille aveugle Aléide figurent sans cesse. Maurice apprend à Pierre les commérages de la cure. Tout cela se passe