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lui-même et de donner sur chaque mot des explications philosophiques, théologiques, mystiques, pleine de subtilité.

Cette visite fut suivie, dans le courant de l’année 1268 et dans les premiers mois de 1269, de plusieurs autres, dont Pierre nous a soigneusement raconté les détails. Ses récits sont d’une extrême sincérité. Pierre ne crut pas évidemment un seul instant manquer à ses devoirs en se laissant aller pour sa compagne spirituelle aux sentimens les plus tendres. De son côté, celle-ci témoignait au jeune religieux le plus entier abandon. Elle vivait à cette époque dans sa famille, et faisait assez souvent le voyage de Cologne pour gagner les indulgences et voir son ami. Quand Pierre et ses compagnons venaient à Stommeln, le curé faisait appeler Christine ; parfois même les religieux étaient invités à la ferme du père de la jeune fille. Celle-ci versait l’eau sur les mains des hôtes et les servait ; Pierre passait auprès d’elle les journées et les nuits, priant avec elle, répondant à ses questions pieuses, lui expliquant tantôt les hiérarchies de Denys l’Aréopagite, tantôt les degrés de la contemplation de Richard de Saint-Victor. Pendant ses extases, il la touchait, comptait ses soupirs, mesurait sa respiration. Ces deux âmes innocentes se racontaient leurs rêves et s’exaltaient réciproquement. Il y a quelque chose de touchant dans le récit d’une promenade qu’ils firent ensemble et où Christine lui adressa les questions les plus naïves.

Les compagnons de Pierre, presque tous Suédois comme lui, ne trouvaient pas moins de douceur à ces visites. Les frères prêcheurs de Cologne avaient, comme nous l’avons dit, les plus intimes relations avec Stommeln. Il en résulta une petite société dominicaine, composée de Christine, du curé de Stommeln, de sa sœur Gertrude, qui chantait les cantiques d’une voix très douce, de quelques pieuses femmes, portant le costume des béguines, de la vieille et respectable Géva, abbesse de l’abbaye de Sainte-Cécile de Cologne, qui avait à Stommeln sa maison de campagne. Pierre a pris plaisir à nous laisser le portrait de ces différentes personnes, et il y a mis quelque talent. Celle qu’il préfère est évidemment Hilla van den Berghe, l’amie intime de Christine. Il fait les plus grands éloges de la sérénité qui régnait dans son âme, du parfum virginal qui s’exhalait de toute sa personne. « Sa gaîté, dit-il, était sérieuse, et son sérieux plein de gaîté... Après Christine, je ne crois pas avoir vu une jeune fille d’une plus grande pureté; il me semblait qu’elle ne savait pas pécher, et Dieu m’est témoin que je n’ai jamais surpris en elle un geste, un signe, un mot lascif, quoique je la considérasse attentivement et que j’aie vécu avec elle souvent et longtemps dans la plus grande familiarité. » La vieille Aléide, qui avait