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intérieurs sur les conditions du concours pour l’auditorat. La question est de savoir si, par ses règlemens, le conseil d’état a le droit de méconnaître l’égalité des citoyens, de décréter de son autorité propre des indignités ou des vices d’origine que rien ne justifie, de se mettre en dehors ou au-dessus des lois générales du pays. C’est là précisément la question supérieure, et il est surprenant qu’un ancien ministre de la justice, un homme comme M. Le Royer, d’un esprit habituellement libre et sensé, ait cru devoir soutenir la légalité du décret du 14 août 1879, la régularité des procédés de son successeur à la chancellerie. Quelle est la grande raison invoquée par M. Le Royer? C’est que le conseil d’état n’a pas seulement le droit d’imposer aux futurs auditeurs des conditions de moralité et de capacité, il a aussi le droit de savoir d’où ils viennent, où ils ont fait leurs études, quels sont leurs principes; il a le droit de constater l’orthodoxie, a d’examiner l’attitude et les sentimens du concurrent. » Voilà le secret! Il s’agit d’exclure quelques candidats suspects d’éducation « cléricale, » et avec une ingénuité bien étrange, M. Le Royer n’a même point hésité à déclarer que le décret était tout à fait dans l’intérêt de ces jeunes gens, qu’ils ne pourraient manifestement parcourir leur carrière avec avantage, que leur avancement serait contrarié! Aujourd’hui ce sont « des cléricaux et des monarchistes » présumés qu’il faut exclure, demain ce seront des modérés de la couleur de M. Dufaure, après-demain ce seront peut-être des républicains de la couleur de M. Le Royer.

Exclure, toujours exclure, c’est le premier et le dernier mot de la politique de certains républicains! M. le garde des sceaux d’aujourd’hui, nous en convenons, n’est pas allé aussi loin; il s’est contenté d’offrir au sénat le spectacle d’un ministre fort embarrassé de son rôle. Il a esquivé, si l’on veut, un vote hostile, il n’a pas échappé à la défaite morale, et comme si ce n’était pas assez d’un ministre engagé dans une mauvaise affaire, un autre membre du cabinet, à propos de la même question, a eu aussi sa mésaventure. Quelques jours après, une proposition a été faite pour rétablir l’assimilation des diplômes, conformément à la promesse de M. le garde des sceaux. L’urgence a été réclamée avec d’autant plus de raison qu’un concours doit s’ouvrir prochainement. Le sénat semblait visiblement disposé à accueillir la proposition lorsque M. le ministre des finances, dont personne ne demandait l’avis, qui n’avait que faire en tout cela, a cru devoir intervenir et déclarer qu’il ne voyait pas pourquoi on voterait l’urgence. Immédiatement l’urgence a été votée par le sénat à une majorité considérable! M. le ministre des finances a eu son succès: il a tenu sans doute à partager la déconvenue de son collègue de la chancellerie.

Ainsi, pour cette malheureuse question cléricale, ils y passent tous un jour ou l’autre; ils ont tous ou presque tous leurs complaisances inutiles, leurs bévues et leurs mécomptes. M. le ministre de l’instruction