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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




30 avril 1880.

Sans nul doute il faut se défendre de tout ce qui ressemblerait à du pessimisme ou à un vain esprit de fronde. Sans doute la France, qui a déjà traversé tant de redoutables épreuves, n’est pas près de périr pour quelques difficultés de plus qu’on pourrait lui créer.

Le pays par lui-même est paisible et sensé plus qu’il ne l’a jamais été peut-être. Il travaille et il paie des impôts presque démesurés sans murmures. Il a une fécondité matérielle, des élémens de prospérité qu’il suffit de ne pas trop paralyser pour qu’ils dépassent tous les calculs. D’instinct il répugne visiblement à tout ce qui pourrait l’agiter, aux aventures extérieures aussi bien qu’aux dissensions intestines. La république lui a été donnée, elle a été acceptée, elle n’est en réalité l’objet d’aucune contestation sérieusement menaçante. La république a cet avantage d’exister sans trouble matériel, d’avoir pour la première fois une organisation régulière, suffisamment pondérée et d’être le seul régime possible en face d’adversaires divisés et impuissans. Oui, sans doute, il y a de la ressource en France, la paix et l’ordre sont dans l’instinct de la nation, les garanties de sécurité ne manquent pas dans les institutions; mais c’est précisément parce que le pays est tranquille, parce que l’institution républicaine légalement établie n’est ni en péril ni en question qu’on est d’autant plus fondé à demander un compte sévère aux prépotens du jour qui, dans les conditions les plus favorables, ne savent que raviver des agitations factices ou rechercher d’irritantes satisfactions de parti. C’est justement parce que tout serait facile et simple, que les esprits désintéressés qui n’ont ni parti-pris ni humeur contre le régime nouveau, ont le droit de se plaindre lorsqu’ils voient les institutions dévier, les pouvoirs s’égarer dans toute sorte de difficultés inutiles. Rien n’est certainement plus commode que de tout confondre, de nier le danger ou de le chercher là où il n’est pos et de crier au pessimisme, à l’hostilité systématique contre ceux qui seraient portés à juger que nos affaires ne vont pas le mieux du monde. Le fait est que s’il y a péril pour la république, il vient des républicains seuls,