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ruynés par les taxes et nouvelles créations, la liberté du royaume violée par les emprisonnemens et les violences dernières. Que faire en cet état? Il faut prendre l’image et l’emblème du prince et les cacher en notre cœur, c’est-à-dire qu’il faut recueillir ce qui nous reste de force et de zèle pour nos lois et d’affection pour le royaume, afin de s’en servir en temps et lieu lorsque l’occasion sera plus favorable pour donner ordre à ces violences »

Et c’est l’auteur de ce magnifique discours, si loyal et si français, si « généreux, » comme dit fort bien notre journal, que les courtisans de 1648 traitaient de rebelle, et qu’ils voulaient emprisonner, à soixante-quatorze ans, dans une forteresse comme un criminel d’état! Et voilà le « bonhomme Broussel, » le « pauvre petit homme, la cervelle de faible carat, » tant moqué des chroniqueurs grands seigneurs, et si légèrement traité par nos modernes historiens ! Nous savons maintenant, à n’en pas douter, qu’il existait dès ce temps-là une vraie éloquence politique dans le parlement de Paris, une éloquence simple, naturelle, vigoureuse, rarement gâtée par le mauvais goût et le pédantisme, pleine de la substance des choses et soutenue d’une sincère conviction. Nous en tenons un monument bien authentique, conservé par la juste admiration qu’il inspira. La forte parole de la tribune est désormais créée chez nous; nous venons de l’entendre; nous l’avons reconnue à ses mérites caractéristiques, à sa gravité, à son ampleur, à la verve entraînante de ses développemens, à la fermeté de son accent. Des conditions et des influences extérieures, favorables au plus haut point, lui ont donné le souille et la vie. Un grand intérêt national, une profonde émotion publique, une assemblée puissante et passionnée, l’imminence d’une crise d’état et la menace d’une révolution, tout ce qui remue et fait vibrer les âmes, tout ce qui suscite les vocations oratoires s’est trouvé réuni : quelques hommes d’autorité, d’expérience et de noble cœur, dominant cette agitation confuse, voyant clair dans ce désordre, ont exprimé avec chaleur, avec énergie, avec une saisissante clarté les vagues impressions et la pensée flottante des multitudes; ils ont puisé l’éloquence dans la vigueur de leur raison et de leur caractère intrépide. Les discours de Du Vair, que nous avons cités ailleurs, ont pour nous moins de prix, une signification moins précise, puisque nous les possédons non pas tels qu’ils ont été prononcés, mais sous la forme savante que leur a donnée, après coup, le travail du cabinet. L’art de l’écrivain a pu respecter, dans les inspirations de l’orateur, la générosité des sentimens et la force des pensées, mais il nous gâte ou nous dérobe le ton naturel de la parole et le mouvement aisé de l’improvisation. Ceux-ci, au contraire,