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les extrémités sont tellement conjointes par le tempérament admirable de cette cour, dépositaire de la liberté publique, que le peuple obéit facilement aux justes commandemens de son prince, et que le prince, ne pouvant abuser de son autorité, se maintient dans l’amour et la bienveillance de ses sujets, de sorte que la résistance de cette illustre compagnie, loin d’affaiblir les princes, les affermit au contraire par son opposition et rend leur autorité douce et tolérable au peuple. »

« Nous lisons dans l’histoire que le roi Ptolémée ayant fait préparer pour les ambassadeurs romains des couronnes d’or enrichies de pierres précieuses, ceux-ci n’osèrent pas les refuser, mais ils les ôtèrent de leur tête et les placèrent sur la tête des statues de ce roi. Ainsi fait le parlement dans les prérogatives qu’il a reçues de nos rois. S’il maintient son autorité, c’est pour affermir celle du prince; s’il défend sa liberté, c’est pour la conservation de celle de l’état, et, s’il accepte la qualité de souverain, les rois la lui ayant octroyée, c’est pour accroître l’ornement de leur trône et la grandeur de leur couronne. Cela est si vrai qu’il est sans exemple qu’aucun membre de cette compagnie se soit jamais départi du respect qu’il doit à l’autorité royale, et que, loin de se servir des conseils factieux qu’on lui objecte pour faire barrière à la puissance du roy, elle a toujours protesté qu’elle n’a d’autre moyen de résister que la raison. Ceux qui rappellent la ligue et qui nous comparent à ce temps-là ont donc oublié les magistrats de cette compagnie que la ligue a emprisonnés pour royalisme? Quelle plus grande injure pouvait donc être faite à cette compagnie que d’accuser ses conseils de sédition et ses arrêts de révolte? Certes, ces paroles sont trop sensibles à son honneur pour les dissimuler. Aujourd’hui, — poursuit l’orateur, non sans finesse, — nous avons contre nous une royale colère, Junouem iratam habemus, dont les oreilles sont fermées à nos justes ressentimens : il semble être de la prudence du parlement de surseoir à toute délibération sur le présent arrêt. Il sera mis au greffe dans un coffre séparé afin de délibérer sur iceluy en temps et lieu... Dans la guerre des Romains en Germanie, un soldat de Varus, voyant que le désordre était si grand dans l’armée, que l’aigle étoit preste de tomber es mains des ennemis, laquelle, d’ailleurs, étoit si pesante qu’il étoit difficile de la garantir dans la fuite, il abandonna le baston qui la soutenoit, et se contentant de la petite effigie de l’aigle qu’il protégeoit, il la mit dans son sein et l’empêcha par ce moyen de tomber ès-mains des barbares. Cet exemple nous doit instruire en cette rencontre. Le peuple est opprimé sous le poids injuste des subsides, la noblesse épuisée par la guerre, les officiers