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aux véritables intérêts du souverain et mieux connu ce qui est nécessaire au bonheur des peuples? »

Ni la défaite de son parti, ni le démenti infligé par les événemens à ses convictions et à ses espérances, ni la fatigue et le scepticisme que l’âge amène, n’avaient ébranlé dans le cœur de ce libéral invariable la foi aux principes de 1648. Pendant que l’enthousiasme public, mobile comme la fortune, se retournait impétueusement vers le pouvoir absolu et l’acclamait sous la figure d’une royauté jeune et triomphante; pendant que les écrivains, les poètes, les prédicateurs, tous ceux qui avaient en France un rang, un nom, une voix, un talent, sans même en excepter les chefs militaires de la fronde, repentans et réconciliés, égalaient en adulation les « mazarins » du Palais-Royal et les courtisans du Louvre, lui, le parlementaire incorrigible, il s’obstinait dans le culte secret des dieux de sa jeunesse; il ravivait pour lui seul l’éclat des beaux jours disparus; il adorait l’image et la mémoire de ces grands magistrats, si longtemps applaudis, dont l’intrépide regard avait plus d’une fois bravé et fait reculer la « tyrannie. » C’est en 1673, dans la ferveur de ses réminiscences fidèles, qu’il voulut en laisser ce monument, comme nous l’apprend la dernière page et la plus éloquente, celle qui, comparant l’héroïsme du passé aux défaillances du temps présent, exprime avec le plus d’énergie la pensée dominante du recueil et l’intention de l’auteur.

« Hélas! qu’en cette année 1673 la France a lieu de regretter tant d’illustres personnages, et combien elle les regrette tous les jours, lorsqu’elle considère son malheur, l’oppression et l’anéantissement de la justice où nous sommes tombés par la lâcheté, pour ne pas dire plus, de leurs successeurs! Que ne diroient pas en ce temps-cy les Broussel, les Coquelay, les Laisné, les Bitaut, les Brissard, les Loisel, les Cumont, et ce grand nombre de gens de bien dont la compagnie étoit remplie, s’ils voyoient à présent les privilèges du parlement supprimés, la liberté de l’acquisition des charges arrêtée, la discipline intérieure de la compagnie placée sous la censure d’un conseil qui n’a aucun caractère de magistrature, les ordonnances anciennes soumises au caprice d’un ignorant, la justice diffamée par de nouvelles ordonnances? Que diroit cet auguste parlement de 1648, s’il voyoit la France dans la nécessité où elle se trouve réduite, sans argent, sans commerce, sans ressources, tous les grands abaissés, tous les privilèges violés, la maltôte partout triompher à ce point que les propriétaires des terres n’en peuvent jouir depuis quatre à cinq ans: mais que diroient tous ces bons François, quand ils verroient à la tête des ordonnances la défense aux parlemens d’y délibérer et de faire les remontrances