Les harangues développées, très fréquentes aux époques d’agitation, tiennent plusieurs pages dans les journaux manuscrits qui ont eu l’heureuse inspiration de ne pas les dédaigner; il en est où nous trouvons les divisions régulières et l’ordre savant d’un discours complet. Ces discours, comme les nôtres, étaient tantôt improvisés, tantôt préparés. Les Nouvelles ecclésiastiques, journal clandestin des jansénistes au XVIIIe siècle, en faisant l’éloge des orateurs parlementaires de ce parti et en citant leurs énergiques protestations, ajoutent : « Ces messieurs n’écrivent point ; ils parlent de l’abondance du cœur; leur zèle leur tient lieu de préparation. » Il est cependant question, dans nos Mémoires inédits, de discours écrits, qu’on lisait en séance; comme aujourd’hui, ils produisaient peu d’effet et recevaient froid accueil. Nous voyons aussi, en certaines occasions graves, le président de Mesmes et l’avocat général Omer Talon, surpris par les incidens de la discussion, hésiter à courir les hasards d’un impromptu oratoire ; « Dieu m’a tiré de peine, dit l’un d’eux en notant le fait, et m’a délié la langue ; Deus dedit eloqui. » Et qu’on ne s’imagine pas que cette éloquence, préparée ou non, ait eu pour trait distinctif d’être monotone, sans chaleur, et comme empesée dans le sérieux de la magistrature : les orateurs, nous le prouverons bientôt, se livraient sans trop de contrainte à la verve de leur talent, à la vivacité de leur émotion. Chez les plus véhémens, un geste expressif accentuait les hardiesses de la pensée. Omer Talon, parlant un jour contre l’introduction d’un ambassadeur espagnol dans la salle des délibérations, mit un genou en terre, au beau milieu de son discours, et invoqua d’un ton pathétique les mânes de Henri IV : ce mouvement fit une telle impression que Retz s’en souvenait encore et le citait vingt ans après. Voici le portrait que le président Hénault, dans ses Mémoires, a tracé de l’éloquent abbé Pucelle, conseiller de grand ’chambre et l’un des chefs du parti janséniste : « Quand il opinoit dans l’assemblée, il avoit l’air pénétré; d’une main il frappoit avec force sur son bureau, et de l’autre, il passoit ses doigts dans ses cheveux qui devenoient hérissés. C’étoit le Démosthène du parlement. Sans affecter l’éloquence, il n’en étoit que plus éloquent. La constitution Unigenitus et l’ultramontanisme étoient pour lui ce que Philippe étoit pour l’orateur athénien. Les tableaux les plus touchans, les images les plus fortes, les entrailles émues, les larmes qui lui échappoient : en voilà plus qu’il n’en falloit pour émouvoir la plus grande partie du parlement. »
À ces éclats de passion répondaient les mouvemens tumultueux de l’auditoire. L’assemblée des chambres avait toutes les ardeurs d’une assemblée politique; elle en connaissait les tempêtes comme les intrigues. « Dans ces réunions, dit Retz, tout peut dépendre