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de la ressaisir dans ses traits essentiels ? Avant d’exposer le résultat de nos recherches, donnons tout d’abord une idée juste du mouvement et de l’éclat de ces assemblées parlementaires; disons quelle était la liberté laissée aux opinions, la puissance du talent oratoire, et quel sérieux sentiment d’un devoir patriotique à remplir animait les orateurs.


I.

Composé de deux cent vingt conseillers et présidens, sans compter le parquet, le parlement se divisait en huit chambres lorsqu’il rendait la justice; il ne formait qu’une seule assemblée quand il délibérait sur la politique. Dans les grandes occasions, comme aux beaux temps de la fronde, un certain nombre de personnages, les princes du sang, les ducs et pairs, les officiers de la couronne, des conseillers d’état, des dignitaires ecclésiastiques, venaient rehausser de leur présence la majesté de ces assemblées plénières; ils siégeaient à part sur un banc d’honneur, à côté du banc des présidens : c’est là que prit place, en l649, le cardinal de Retz, qui n’était encore que coadjuteur de l’archevêque de Paris, son oncle. Les chambres réunies se tenaient dans la salle de la grand’ chambre, dite aussi chambre de Saint-Louis, qui communiquait avec la salle des Pas-Perdus, dont elle n’était séparée que par le bureau des huissiers ; c’était une vaste pièce dont on admirait le pavé de mosaïque en marbre blanc et noir, la charpente couleur d’or et d’azur; elle a servi aux séances du tribunal révolutionnaire, et, plus récemment, aux audiences des affaires civiles de la cour de cassation. Sur une motion du procureur général ou sur le rapport d’un conseiller, le premier président mettait en délibération, selon les termes consacrés, le quid agendum de republica, ou le quid expediat reipublicœ ; puis, formulant le point à résoudre, il se tournait vers le plus ancien conseiller et lui disait: «Votre avis, monsieur le doyen? » Beaucoup dans la noble compagnie opinaient du bonnet et se rangeaient à l’avis de M. le doyen; d’autres motivaient leur vote par de courtes et substantielles explications : les petits discours du cardinal de Retz, rapportés par lui-même, nous fournissent un exemple de ce genre d’éloquence sobre et vigoureuse. Quelques-uns se bornaient à une citation latine appropriée aux circonstances; témoin ce conseiller qui, dans la séance du 8 janvier 1649, où l’on décida de repousser par la force les attaques de la cour, campée à Saint-Germain, se leva, et ne dit que ces mots, tirés de Tacite : Pium bellum, quitus necessarium, et justa arma quibus tantum in armis spes est.