où les électeurs seront au nombre de vingt ou trente mille? La suppression des petits bourgs nécessitera donc un remaniement général des circonscriptions électorales, et l’un des traits distinctifs des institutions anglaises, la variété des sources du pouvoir parlementaire, aura disparu. Ce n’est pas sans de vives appréhensions que beaucoup de libéraux modérés envisagent un changement qui fera perdre à leur opinion la plupart de ses représentans et ne profitera qu’au radicalisme.
La session qui va s’ouvrir et qui ne commencera réellement qu’après la réélection des nouveaux ministres, aura tout au plus une durée de deux mois : elle sera remplie par la discussion des mesures financières indispensables; mais il faut s’attendre à ce que la réforme électorale soit discutée dès l’ouverture de la session prochaine, et à supposer que la chambre des lords la repousse une première fois, elle sera votée en 1882, et comme elle aura rendu virtuellement caduc le mandat de bon nombre de députés, elle sera suivie, conformément aux précédents, d’une dissolution du parlement. On s’accorde donc à penser que la chambre qui vient d’être élue n’a devant elle qu’une existence de deux années. Cette courte période n’en aura pas moins déterminé une évolution considérable dans la vie politique de nos voisins.
La défaite que lord Beaconsfield vient d’essuyer met fin à la carrière politique de cet homme d’état : si verte que soit sa vieillesse, si puissantes que ses facultés soient demeurées, ce n’est pas à soixante-quinze ans passés et relégué dans la chambre haute qu’il peut recommencer les luttes qui ont illustré sa carrière. Il n’est personne dans le parti conservateur qui soit de taille à recueillir sa succession. Après la retraite ou la disparition de lord Beaconsfield, le parti conservateur redeviendra ce qu’il était en 1847, une armée sans chef. À ce moment, la nouvelle réforme électorale et l’invasion du radicalisme dans le parlement auront fait disparaître les derniers des whigs et auront réduit les libéraux modérés à la situation de généraux sans soldats. Le mouvement qui a commencé à se produire en 1874 prendra plus de force et jettera la bourgeoisie tout entière dans les rangs des conservateurs. Les lieutenans de sir Robert Peel, proscrits par les tories, ont donné des généraux aux libéraux qui n’en avaient pas. On peut prévoir le jour où les plus jeunes et les plus modérés des chefs du libéralisme, les Forster et les Goschen, débordés par le flot montant du radicalisme, prendront place en tête du parti conservateur pour défendre, contre leurs alliés de 1880, les fondemens mêmes du régime constitutionnel, la dualité du pouvoir législatif et la royauté.
CUCHEVAL-CLARIGNY.